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formant un petit promontoire en saillie sur la ligue du rivage de plus de 40 mètres[1].

Le cap de la Hève est sans doute un des points les plus attaqués ; mais les mêmes dislocations se reproduisent partout. En temps normal et par les mers les plus calmes, la grande muraille crayeuse continue à se désagréger peu à peu et pour ainsi dire moléculairement ; il en tombe toujours quelques menus fragmens, et il est aussi dangereux d’en suivre la crête, qui peut à chaque instant céder sous les pas, que d’en longer le pied, toujours menacé de la chute de quelques blocs ébranlés. Pendant ou après chaque tempête, à la suite de pluies persistantes, au cours des fortes gelées, il se produit toujours quelque effondrement, dont les conséquences peuvent être désastreuses. La liste serait interminable de toutes les brusques dislocations qui se sont produites dans le cours des siècles ; et il nous suffira de rappeler celle, toute récente, qui a fait craindre un moment de voir disparaître en partie les magnifiques rochers avancés qui font le charme et la fortune d’Étretat, et, hier encore, ce terrible glissement de la falaise de Dieppe entraînant à la mer, au cours d’une nuit, l’une des plus élégantes villas de la côte.

Si tous les débris qui proviennent de cette destruction séculaire de la falaise restaient sur place, ils auraient formé depuis longtemps une longue digue de protection, ce que les ingénieurs appellent une risbenne, qui défendrait le pied de la muraille et lui permettrait de résister un peu à de nouvelles attaques de la mer ; mais les vagues et la marée ne tardent pas à les disperser et à les entraîner au large. Le va-et-vient continu des eaux les ramène sans cesse ; et tous les matériaux éboulés, d’une consistance, d’un volume et d’une dureté très différentes, sont l’objet d’une immense opération de triage. La plus grande partie, qui est aussi la plus tendre, — la marne et la craie, — se délaye et est en général emportée très rapidement à plusieurs kilomètres au large. Les sables sont aussi charriés assez loin. Les galets seuls restent dans le voisinage de la côte ; mais, incessamment poussés par le flot et ramenés par le jusant, ils cheminent parallèlement au rivage, entraînés par les deux courans qui longent toute la côte, l’un descendant sur le Havre, l’autre remontant vers le Nord.

  1. G. Lennier, L’estuaire de la Seine. Mémoires, notes et documens pour servir à l’étude de la baie de la Seine, t. I, chap. III. Le Havre, 1885.