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L’estuaire de la Seine, en particulier, a été, dans les temps anciens, plus profond, plus largement ouvert sur la mer, et surtout s’est enfoncé beaucoup plus loin en amont dans l’intérieur des terres que nous ne le voyons aujourd’hui. Mais les matières meubles charriées par le fleuve n’ont pas été les seuls ni même les principaux élémens de cet encombrement ; et les atterrissemens produits par les vents du large et les marées ont contribué pour une très large part à l’exhaussement du fond de l’atterrage[1]. Le grand courant de flot qui s’engouffre dans la baie de Seine, après avoir parcouru toute l’étendue de la Manche, a eu pour effet de ruiner peu à peu les parties les moins résistantes de la côte normande ; et les débris résultant de cette érosion, remaniés sans cesse par le va-et-vient des marées, ont fini à la longue par s’accumuler dans la région, relativement plus calme, de l’embouchure. Si la vitesse du jusant était supérieure à celle du flot, ces débris seraient à peu près tous entraînés dans les profondeurs lointaines de la mer ; mais c’est malheureusement le contraire qui a lieu. Les « instructions nautiques » publiées par le ministère de la Marine portent à cinq heures environ la durée moyenne du courant de flot et à sept heures celle du courant de jusant ; les vitesses sont donc naturellement en proportion inverse et à peu près dans le rapport de 100 à 70. Les pêcheurs du Havre, qui sont en contact permanent avec la mer et dont l’expérience est un gage de vérité bien supérieur à toutes les prétentions scientifiques, affirment même qu’au cours de certaines marées la vitesse du flot est quelquefois en certains points triple de celle du jusant. Dans ces conditions, l’atterrissement est inévitable. Cet atterrissement provient à la fois des érosions du talus sous-marin de la Basse-Normandie et des éboulemens des falaises du pays de Caux.

Le courant de flot qui rase toute la côte normande, du cap de Barfleur à l’embouchure de la Seine, n’a qu’une action destructive assez limitée sur les roches granitiques de la presqu’île du Cotentin ; mais, à partir de la baie des Veys, il corrode le pied des falaises marneuses qui forment le seuil de la baie de Caen, accomplit un lent travail de rescindement et d’alignement de toutes les saillies et de tous les promontoires du Bessin et du pays d’Auge et entraîne avec lui une partie des matières charriées par

  1. Belleville, Note sur le régime des courans et des matières alluvionnaires dans l’estuaire de la Seine. Congrès scientifique de Rouen (1883).