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d’entrer en campagne, elle s’applique à mûrement étudier le terrain, toujours prête cependant à modifier ses plans, s’il lui arrive, en cours de route, de découvrir une voie plus sûre et plus directe pour atteindre son but.


De ce qui vient d’être dit, il ressort en dernière analyse que la douleur ne compte pas les services qu’elle nous rend, mais qu’en échange elle nous les fait payer très cher. En outre, c’est là un point sur lequel il convient d’insister, elle répartit ses faveurs d’une façon très inégale. Parmi les entités vivantes, celles-là seules auront droit à sa sollicitude qui réuniront les trois conditions suivantes : un vif sentiment de la souffrance, l’intensité et la persistance de son souvenir, la connaissance raisonnée de ses origines.

L’être humain, et avec lui, bien qu’à un degré moindre, les animaux supérieurs jouissent de ce triple privilège.

Aussi leur existence est-elle bien plus efficacement garantie que celle de tous ces minuscules organismes, — sine nomine vulgus, — dont l’abjecte multitude peuple les bas-fonds de l’animalité. Sans le moindre souci des principes égalitaires, la nature ne s’est pas contentée d’établir dès l’abord dans l’univers vivant une hiérarchie des plus compliquées. Ses efforts tendent sans cesse à multiplier les castes ; et, de nos jours comme aux premiers temps du monde, elle réserve à ses élus, — les intelligens et les forts, — ses grâces les plus insignes, abandonnant à leur misérable destin la foule inutile des incapables et des faibles.

En se comportant d’autre façon, elle mentirait à ses fins, elle renoncerait à son idéal. Si l’on tient compte, en effet, des données fournies par l’étude de l’évolution, on ne saurait douter que son désir constant n’ait été d’obtenir des variétés animales de plus en plus parfaites. Et ce désir, il n’était possible d’y satisfaire que par un triage judicieux, une sélection ininterrompue des formes primitives. Que penserait-on, dites-moi, d’un pépiniériste qui, au lieu de choisir des surgeons vigoureux, perdrait sa peine à bouturer de chétifs rameaux ? Et quelle triste opinion ne donnerait-il pas de lui, cet éleveur dont tous les soins iraient à des produits médiocres, sacrifiant à ces derniers tous ses sujets de prix ?

Qu’on ne l’oublie pas cependant : ce n’est pas vers le bien-être, ni même vers la conservation de la personne, que tendent, à