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Dans les ouvrages hippocratiques se lit déjà cet adage : « De deux douleurs développées à la fois en deux points différens, la plus intense atténue l’autre. » D’où l’idée de substituer, en vue d’un résultat thérapeutique, une souffrance vive, mais passagère, à une autre souffrance, plus modérée peut-être, mais rendue intolérable par son opiniâtreté : et c’est ainsi qu’est née la médication révulsive. L’usage si répandu des sinapismes, des ventouses, du vésicatoire, des pointes de feu, des liquides irritans, de certains courans électriques n’est qu’une application intelligente et raisonnée de cette méthode, « dont l’origine se confond presque avec celle de la médecine elle-même, qui a souffert plus d’une fois du vent et de la tempête, et qui est pourtant encore debout. »

A côté des inconvéniens qu’elle entraîne, le médecin a donc les plus légitimes raisons d’attribuer à la douleur de très sérieux avantages. Le physiologiste, lui, va beaucoup plus loin. Il ne se borne point à la traiter avec indulgence. Il voit en elle un palladium à l’abri duquel nous pouvons affronter les hasards de la vie, ou, si l’on veut, une sorte de vigie peu commode, à l’aspect rébarbatif, mais dont l’œil toujours ouvert aperçoit de loin le danger, et qui ne manque presque jamais de nous en signaler l’approche.

Sûrement, des êtres naissent, végètent et meurent à la surface de notre globe qui jamais n’ont eu la plus légère intuition de la douleur : car il ne viendrait à l’esprit de personne d’user d’un terme semblable pour désigner l’impression vague, confuse, indéterminée, et en tout cas très fugitive, succédant à une irritation quelconque chez les organismes inférieurs ; moins encore aux réactions automatiques des animalcules sans nerfs et sans cerveau.

Mais qu’importe à la nature le sort de ces créatures rudimentaires pullulant autour de nous ? Elles éclosent en quelques heures, en quelques minutes même ; et si brève est la durée normale de leur existence, que les chances les plus contraires ne sauraient sensiblement l’abréger. Toutes, d’ailleurs, joignent à leur fécondité exubérante une vitalité telle que certaines d’entre elles se reprennent à vivre après une dessiccation complète, et que d’autres, coupées en deux, forment de chacun de leurs segmens un individu nouveau.

En conférant à ces infiniment petits la prescience du péril