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tableau ? Qu’il soit appelé, par exemple, au lit d’un malade torturé par une de ces névralgies féroces dont la violence et l’opiniâtreté laissent bien loin derrière elles les supplices infernaux créés par l’imagination de Dante, et tel sera le lamentable spectacle auquel, — désolé de son impuissance, — il sera contraint d’assister. Saisi d’une agitation convulsive, exhalant des plaintes inarticulées ou poussant des cris déchirans, le malheureux sur lequel s’acharne la souffrance réclame vainement un instant de repos. Le sommeil fuit obstinément sa paupière ; et, loin d’apporter à ses sens exaspérés le calme auquel il aspire, les ténèbres de la nuit ne font qu’aggraver son angoisse : alors même que sa conscience vient à s’obscurcir, de terrifiantes hallucinations, des rêves sinistres ne cessent de traverser l’engourdissement de son cerveau.

Si, rebelles à toute médication, les assauts de la douleur se répètent sans trêve, l’insomnie et l’inanition triomphent de l’énergie physique et morale du malade. Le poids du corps diminue, l’impotence musculaire devient complète, la peau se décolore, le cœur ne bat plus que faiblement, la température s’abaisse. Au fond de leurs orbites, les yeux seuls conservent encore une apparence de vie avec, dans leurs prunelles à demi éteintes, la navrante expression d’un désespoir incurable. Sur cette proie sans défense, le marasme, — vampire avide du sang des faibles, — projette, bientôt son ombre mortelle, multipliant ses hideuses morsures, vidant les veines, desséchant les chairs, faisant saillir les os. Et, quand une réaction inattendue ne lui vient point en aide, l’infortunée victime succombe en gardant jusqu’au bout le sentiment de sa misère : elle descend dans la tombe avant d’avoir touché au terme de ses maux.

Heureusement, j’ai hâte de l’ajouter, la souffrance ne se montre pas toujours à ce point inclémente. Parfois aussi il lui arrive de se heurter à des organisations assez robustes pour repousser victorieusement ses agressions.

A l’époque où sévissait cette stupide et abominable coutume, les accusés soumis à la géhenne sortaient presque tous vivans des mains de leur bourreau. Plus encore : certains d’entre eux, comme saturés par le mal, s’endormaient d’un vrai sommeil au milieu des plus épouvantables tourmens. Les blessés déjà exsangues dont Ambroise Paré aseptisait les plaies vives avec de l’huile bouillante ne mouraient pas toujours, eux non plus, de