un jeu cruel, une fantaisie inexplicable de la nature ? Sphinge au double visage embusquée sur le chemin de la vie, elle n’a cessé depuis le commencement des siècles de poser à chaque passant son irritante énigme, que croyait avoir déchiffrée la sagesse antique, mais dont la science moderne seule a su trouver le mot.
Certes, au moment où la douleur l’assaille, le patient ne peut avoir pour elle que de la répulsion. La coupe offerte à ses lèvres ne lui paraît contenir qu’une liqueur amère dont la saveur révolte invinciblement son palais. Et son instinct ne le trompe pas : car à ce noir breuvage se trouve mêlé un poison subtil qui, répandu dans nos veines, tarit les sources de la pensée et ferme notre cœur et notre cerveau à tout ce qui fait le charme ou l’intérêt de l’existence. Il ne lui suffit point de nous enlever la jouissance du présent : son action malfaisante s’étend aux jours vécus, détruisant en nous jusqu’au souvenir des bonheurs passés ; l’avenir lui-même s’enveloppe d’un voile de deuil au travers duquel n’apparaissent plus que des heures sans joie.
Pour peu qu’elle se perpétue, cette insupportable obsession épuise graduellement, chez l’homme que la douleur accable, sa résistance morale. Si vaillant qu’il soit, un jour vient où son courage l’abandonne. Brisé par cette lutte énervante, sans forces pour la soutenir davantage, il se déclare vaincu ; comme un naufragé que submerge la vague, on le voit alors sombrer peu à peu dans une mélancolie incurable, à moins qu’il n’échappe par le suicide à son impitoyable persécutrice…
Et l’être mental n’est pas seul à en subir le dommage. Déjà, avec toute la vigueur que comporte une preuve expérimentale, un physiologiste italien, Mantegazza, nous avait appris avec quelle promptitude les irritations douloureuses retentissent sur l’ensemble des fonctions vitales. Non seulement le travail du cœur en est compromis, non seulement la température interne et les échanges respiratoires en éprouvent un trouble profond, mais encore elles finissent par amener une débilitation générale qui, elle-même, peut entraîner la mort.
Il n’était nul besoin toutefois d’imposer à l’animal d’aussi rudes épreuves pour mettre au jour les conséquences physiologiques de la douleur. Le médecin n’a-t-il pas déjà trop fréquemment l’occasion de voir se dérouler sous ses yeux cet attristant