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sortant déjà des limites habituelles de la sensibilité tactile. Tels l’horripilement du frisson et les ardens effluves de la fièvre ; telles aussi la nausée de la syncope, la photophobie dont souffrent certains ophtalmiques, la lourdeur des congestions viscérales, l’oppression des asthmatiques, les inquiétudes agaçantes des gens nerveux.

Faut-il le dire aussi ? il se rencontre des états singuliers où la souffrance se teinte d’une impression de plaisir. Je veux parler ici de cette sensation paradoxale, — la dolorifica voluptas, — que connaissent trop bien, entre autres, les personnes affectées d’un prurit intense. A la cuisson provoquée par le grattement furieux de leurs ongles se mêle souvent, chez elles, une jouissance tellement aiguë que parfois elle va jusqu’à la pâmoison. Sans doute aussi éprouvaient-ils quelque chose d’analogue, ces énergumènes du moyen âge qui, sous l’empire d’une exaltation frénétique, courant à demi nus au flanc des processions, poussant des hurlemens de douleur et de joie, étalaient devant tous le spectacle répugnant et burlesque de leurs sanglantes flagellations.

Peut-on même affirmer, sur la seule foi de leur différence d’origine, qu’il existe entre la souffrance morale et l’épouvante physique une infranchissable démarcation ? La similitude éventuelle de leurs réactions permet au moins d’en douter. Ce n’est pas seulement au figuré que l’on reçoit « un coup » à l’annonce brutale d’un désastre. Comme après un choc douloureux, l’épigastre se serre en une angoisse subite, tandis que monte à la gorge un spasme qui vous suffoque. A la même minute, une pâleur cadavérique s’étend sur le visage, le cœur ralentit ses battemens pour, un instant plus tard, s’agiter en des palpitations folles ; un froid mortel envahit toute la surface du corps, les jambes fléchissent, la vue se trouble, la conscience elle-même s’enténèbre ; puis, épisode ultime de cette pénible scène, la défaillance survient, apportant avec elle le bienfait de l’oubli.


Et voici maintenant l’argument que formulent les adeptes de la théorie uniciste. Si la douleur est à ce point multiforme et si, fidèle au principe de la division du travail, la nature a créé pour chacune de ces innombrables modalités une catégorie spéciale de fibres nerveuses, il faudrait en conclure, d’après eux, qu’il a dû se développer chez l’homme autant de conducteurs dolorifiques que de sensations douloureuses. Ce qui, on doit bien