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on ne peut apparemment tirer d’autre conclusion que celle-ci : la souffrance dérive d’une sensation tactile dont la mesure ou la durée dépassent les bornes physiologiques.

Hâtons-nous pourtant de le dire, une telle conclusion ne serait rien moins que légitime. Loin de s’exagérer au cours de l’acte douloureux, l’excitabilité normale se trouve, au moins dans la généralité des cas, momentanément suspendue, et le nerf offensé ne perçoit plus que sa souffrance. Voyez, par exemple, ce que produit un choc violent : au lieu de l’aiguiser, il anéantit d’emblée toute espèce de sensibilité spécifique dans la région lésée.

« Nos sens, écrivait Pascal, n’aperçoivent rien d’extrême. Trop de bruit nous assourdit, trop de lumière nous éblouit. Les qualités excessives nous sont ennemies… ; nous ne sentons plus, nous souffrons. »

Qui plus est, quand se déclare une douleur à la fois vive et circonscrite, il nous devient difficile, quelquefois même impossible de discerner ses origines. La nature de l’agent vulnérant échappe alors à toute discrimination. C’est au moins ce qu’on doit inférer de l’expérience suivante de Fick, — expérience que ni vous ni moi ne serons d’ailleurs tentés de soumettre à une vérification personnelle. Que l’on recouvre un point quelconque du corps avec une carte percée d’un trou minuscule ; que, par l’ouverture ainsi ménagée, on applique ensuite sur la peau des irritans divers — pointe d’une aiguille, mors d’une pince, cautère rougi au feu ; — et, le croirait-on, les sensations accusées par le sujet ne se distinguent en aucune manière les unes des autres : les mêmes termes serviront à les désigner. Je me rappelle encore l’impression que j’ai moi-même ressentie naguère quand, au cours d’une leçon de chimie, le professeur déposa sur ma main un bloc de mercure solidifié. Cette congélation me fit l’effet d’une brûlure ; la douleur éprouvée fut identique à celle qu’eût occasionnée la cautérisai ion d’un fer chauffé à blanc.

En présence de l’antagonisme évident que manifestent l’une vis-à-vis de l’autre la réceptivité douloureuse et la sensibilité tactile, il a bien fallu se demander si les deux fonctions sont remplies par les mêmes organes. Existe-t-il ou non, à côté et en dehors des élémens nerveux propres au sens du tact, des conducteurs exclusivement affectés aux perceptions douloureuses ? En d’autres termes, les fibres nerveuses sont-elles ou ne