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appréhender le retour ? Serait-il bien logique, d’autre part, de définir un phénomène, non par ses qualités intrinsèques ou tout au moins par ses réactions immédiates, mais par une impression qui n’en sera que la conséquence éventuelle ? Faudrait-il donc attendre la disparition de la souffrance pour savoir que l’on a souffert ? Non : c’est au moment même où sévit la douleur qu’elle est perçue comme telle par la conscience. Dans l’instant où elle s’attaque à nos misérables organes, la seule chose à laquelle nous aspirons est de la voir cesser au plus tôt ; et, lorsqu’elle aura pris fin, il s’écoulera des minutes, des heures, des jours avant que l’euphorie qui lui succède ne soit de nouveau troublée par la peur d’une rechute, avant aussi que ne se formule dans notre esprit le vœu d’en être désormais affranchi.

Au demeurant, le caractère déterminatif de languisse physique est encore à trouver. Comment, d’ailleurs, en serait-il autrement ? Purement subjective dans son essence, affectant par surcroît des modalités tellement personnelles, tellement irrévélables que jamais aine qui vive n’a pu « sentir » le mal d’autrui, on conçoit que la douleur se montre rebelle à toute synthèse verbale.


Mais à défaut d’un critérium psychologique, ne serait-il pas possible de découvrir dans ses manifestations corporelles des élémens discriminateurs d’une valeur moins contestable ?

Il est certain qu’au contact d’une souffrance aiguë, l’économie tout entière subit une perturbation profonde. Les mains se mettent à trembler, les jambes chancellent, la face pâlit et se couvre d’une sueur glacée, les muscles de la poitrine sont pris d’une contraction spasmodique, la respiration s’embarrasse, devient plus lente, en même temps que son rythme s’altère. Le cœur, au contraire, commence par accélérer ses battemens, puis, la douleur persistant, ses pulsations se font plus rares ; et si, au lieu de s’atténuer, le mal va toujours croissant, le drame s’achève par une syncope qui, elle-même, lorsqu’elle vient à se prolonger, peut occasionner la mort.

Tout cela est visible et palpable ; la plupart de ces actes morbides se prêtent même sans difficulté à des notations diagrammatiques. Malheureusement, ils n’ont rien qui soit exclusivement propre à la douleur. La décoloration du visage, la faiblesse et la trépidation des extrémités, l’oppression, la défaillance du cœur, se rencontrent également, — isolées ou réunies, —