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LE
MYSTÈRE DE LA DOULEUR

Dans les dernières années de son existence, miné par un mal inguérissable, Alphonse Daudet avait nourri le projet d’écrire un jour le roman de la douleur. En venant trop tôt le surprendre, la mort ne lui a pas permis d’accomplir son dessein. Et cependant, quel drame émouvant il eût construit sur cette donnée tragique ! Conçu au sein même de la souffrance et comme dicté par elle, son livre aurait à coup sûr fait surgir devant nous, vivant d’une vie intense, le tableau des misères humaines.

Sous quel aspect, — car la vérité même a des formes diverses, — nous eût-il présenté l’image de la douleur ? Dans les lignes qu’il n’a pu tracer, aurions-nous entendu le cri de la chair en révolte contre un mal abhorré, ou le lamento résigné de la victime que poursuit une fatalité inexorable, ou bien encore le chant mystique, l’enthousiaste hosanna du martyr glorifiant son supplice et bénissant ses bourreaux ? Sa fiction nous eût-elle appris à supporter d’un cœur vaillant les assauts de la souffrance, à goûter même sa poésie amère ? Aurait-elle, au contraire, étalé, sous nos yeux, en des pages d’un réalisme brutal, l’horreur du mal physique ?… Nul ne l’a su que lui. Mais, quelle qu’eût été l’idée inspiratrice de son livre, il a dû sans nul doute, avant même d’en édifier le plan, se poser cette éternelle question : La douleur est-elle une pure nuisance, une cruauté toute gratuite