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comme au temps de Hogarth, une mine d’or aux portraitistes. Mais que de dégoûts dans une telle carrière ! Reynolds, il est vrai, composait ses portraits comme des tableaux et, après avoir reproduit trois mille visages, conservait encore son enthousiasme pour les beautés et la puissance d’expression données à une face humaine. Mais pour un Reynolds combien de Romneys ! Rowlandson tâta de ce métier. Pendant sept ou huit ans, il exposa des portraits, des sujets sérieux. En 1784, il perdit patience, sortit de la grande route battue qui conduisait à l’Académie, s’attacha définitivement à une forme de l’art qui, en lui promettant des gains faciles, donnait libre carrière à sa verve et à sa gaîté. Il composa non des caricatures, mais des tableaux de mœurs, et, si l’on veut se faire une idée de son système artistique, il suffit de regarder ses premiers dessins, par exemple ses Jardins de Vavxhall, que l’on considère comme son chef-d’œuvre ; c’est, tout au moins, son œuvre la plus complète, la plus achevée, celle où il a le mieux déployé à la fois toutes ses facultés. Pour cadre un lieu réel, très exactement reproduit, et, dans ce décor, une foule anonyme au travers de laquelle il jette des figures historiques comme des grains de raisin dans un pudding. Ce sont des portraits, mais des portraits incorporés à un tableau ; et c’est dans cette subordination des détails à l’impression totale qu’est le talent, j’irai presque jusqu’à dire le génie de Rowlandson. Si vous perdiez la clef qui vous donne le nom des personnages, le document diminuerait de valeur, l’œuvre d’art demeurerait entière ; elle garderait, — chose plus curieuse, — toute sa signification morale.

Dans tout cela, aucun excès. La nature est maniée librement, jamais parodiée ni déformée. Rowlandson est un observateur. Idées, figures, formes, attitudes, mouvemens, sa mémoire lui fournit tout ce qu’il veut ; elle ouvre à l’artiste un crédit illimité. De là son aisance incomparable à ordonner des groupes, à manœuvrer des foules. Et voilà pourquoi il ne semble jamais arrêté par une difficulté technique à vaincre ou à tourner.

Deux anecdotes caractéristiques, rapportées par son ami Angelo, nous le montrent toujours prêt à prendre des notes sur la vie et rechargeant sa mémoire artistique, remplissant, à mesure qu’il le vide, son arsenal de faits et de documens. Une nuit, regagnant son logis, il est arrêté et détroussé par un voleur. Dès le lendemain, bien accompagné, il se met à la recherche de son