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reconnaître les siens. Elle tint l’art pour suspect comme chose papiste ; elle jeta au feu et passa à la chaux, avec le reste, des satires graphiques dont elle eût fait ses délices si elle les avait comprises. De sorte que l’art comique, en Angleterre, s’éclipsa pendant plus d’un siècle. C’est la liberté politique qui le ramena au jour et le remit à la mode. Les élèves de Romain de Hooghe, qui était lui-même un imitateur de notre Callot, furent d’abord les seuls à pratiquer cet art perdu ; et il lui fallut un certain temps pour obtenir ses lettres de naturalisation. La fameuse bataille électorale de 1709 entre les whigs hanovriens et les tories jacobites, et le grand krack financier qui se produisit quelques années plus tard, firent la fortune de la caricature. On l’appelait hieroglyphics, et ce mot suffit à indiquer le caractère de ces œuvres primitives. Ce n’était rien de plus qu’un rébus, plus ou moins compliqué, dont la hardiesse se cachait sous une énigme. Vers 1750, le mot hieroghyphics disparut et celui de caricature, auquel, le premier, Addison avait donné sa forme anglaise, entra triomphalement dans le Dictionnaire de Johnson.

C’est en 1720 que fut publié le premier dessin de Hogarth, et le dernier date de 1764. Incontestablement Hogarth a été un caricaturiste. Il est à remarquer que, dans ses plus grands efforts pour atteindre au tragique, il reste toujours caricaturiste par l’intention comme par l’exécution. Son talent élargit le genre où il se déploie, mais n’en sort jamais complètement. Dans les pages pathétiques de ces drames au burin ou au pinceau dont il est l’inventeur, on retrouve toujours l’exagération voulue, le contraste violent, la recherche systématique de la laideur amusante, qui sont les marques distinctives du caricaturiste. Cette réserve faite, il faut reconnaître en lui un maître du réalisme, le seul grand réaliste anglais jusqu’à ce jour. C’est par là qu’il a agi non seulement sur les artistes, ses contemporains et ses successeurs, mais sur les destinées générales du génie anglais, et c’est dans cette pensée que j’ai osé prononcer son nom dans la même phrase à côté de celui de Shakspeare. S’il y a un courant dont Shakspeare est la source abondante et profonde, il en est un autre qui descend de Hogarth. Certes, pour la beauté de ses rives, la majesté de ses eaux, la magnificence des cieux qu’il reflète, le courant shakspearien l’emporte sans comparaison sur son humble rival. Mais lequel des deux ira le plus loin ? Lequel doit tarir le premier ? Nul de nous n’en sait rien.