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reprenant possession de leurs facultés à l’heure où ils remettaient le pied sur le pavé de Londres. Ils faisaient les plus consciencieux et les plus inutiles efforts pour aimer les Romains et les Florentins ; mais c’est seulement avec les Flamands qu’ils réussissaient, du premier coup, à se mettre en communion et en commerce. Sentiment de la nature, instinct moral, tendance familiale, admiration de la beauté, mais d’une certaine beauté, sympathie envers les races animales qui servent l’homme et partagent sa vie : voilà ce que me révéla l’école anglaise, de 1760 à 1820. C’est ainsi que Reynolds, Gainsborough, Lawrence, Romney, West, Landseer, commentèrent pour moi Scott et sa conception de l’histoire, les romans de miss Burney et de miss Edgeworth, Wordsworth et les Lakistes, Crabbe et ses poèmes réalistes. Mais personne ne m’en a jamais appris autant sur la psychologie de ses compatriotes que Hogarth. Après Shakspeare, il est peut-être le meilleur exposant de l’âme anglaise. Outre les causes d’inspiration déjà découvertes, je remarquais en lui l’observation railleuse du détail et le goût des contrastes, longuement et patiemment soulignés, avec un esprit d’analyse qui a été rarement surpassé.

Je continuais à remonter vers la source. Peu à peu, une vérité m’apparaissait : c’est que, chez nos voisins, l’art comique, c’est-à-dire la caricature, entendue au sens le plus large du mot, la comédie dessinée, est, des deux moitiés de l’art, la plus importante, de beaucoup, et la plus significative, celle qui s’identifiait le mieux avec les besoins et les tendances, avec les facultés comme avec les infirmités intellectuelles de la race ; celle qui donnait le mieux satisfaction à son humeur ironique et indépendante, à son penchant pour la propagande morale et pour la satire politique, il me parut clair que, chez les Anglais, l’art sérieux avait toujours été un produit exotique, un fruit de serre chaude, cultivé à grands frais, sur un humus artificiellement préparé, pour aboutir à un éternel avortement, tandis que l’art comique était vraiment né du sol et avait poussé au grand vent du dehors.

L’éclosion spontanée de cet art me devint encore plus évidente lorsque j’arrivai à ces artistes anonymes qui ont couvert de leurs maladroites, mais si expressives ébauches, les pages des missels et les murs des cathédrales.

J’habitais alors un coin de l’Angleterre où les Romains et