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« burent sa santé » à genoux, au son des trompettes et du canon. Elle passa l’armée en revue et s’avança à cheval jusqu’aux avant-postes de l’armée royale, où l’on était averti de ne pas tirer : « — Je parlai quelque temps à eux. Après, je poussai mon cheval, ayant grande envie d’aller jusque dans le camp des ennemis ; mais M. le Prince courut devant, et sauta à la bride de mon cheval, et le fit tourner. » C’élait par trop une idée de femme. Le soir, elle donna le mot d’ordre et repartit au clair de lune. La journée se termina par un joyeux souper aux Tuileries.

Cette expédition lui avait monté la tête. Quelques jours après, elle « supplia » son père de lui permettre de faire pendre les principaux meneurs de la réaction. Monsieur manqua de « vigueur[1], » et refusa, fort heureusement pour sa fille, car l’heure du règlement de comptes était proche. Le 13 octobre, elle se grisa une dernière fois du cliquetis des armes et de l’éclat des costumes de guerre. M. le Prince était venu lui dire adieu, avec tous ses amis, avant d’emmener son armée dans l’Est, vers une fortune inconnue : « Cela était si beau, écrit-elle, de voir la grande allée des Tuileries toute pleine de inonde, tous bien vêtus. M. le Prince avait (un habit) fort joli, avec des couleurs de feu, de l’or, de l’argent, et du noir sur du gris, et l’écharpe bleue à l’allemande, sous un justaucorps qui n’était point boutonné. J’eus grand regret à les voir partir, et j’avoue que je pleurai, en leur disant adieu… On se trouvait si seul ; l’on était si étonné de ne voir plus personne. Cela causait bien de l’ennui ; et il fut bien accru par le bruit qui courut que le roi venait, et que nous serions tous chassés. »

Les Princes étaient partis un dimanche. Le samedi suivant, au matin, pendant que Mademoiselle était à se coi lier, on lui remit une lettre du roi : « — Elle contenait que, s’en allant à Paris et n’ayant point d’autre logement à donner à Monsieur, son frère, que les Tuileries, il me priait d’en déloger dans le lendemain midi. » Le coup fut rude. Mademoiselle alla se cacher chez des amis. Elle faisait la brave, parlait de mettre Paris sens dessus dessous, et versait cependant des torrens de larmes. Le 21, on lui apprit que son père était exilé de Paris. Elle partit pour le Luxembourg et vit chemin faisant, sans être vue, passer le roi. Il était devenu grand ; c’était un bel adolescent qui saluait bien :

  1. Lettre de Marigny à Lendt, du 25 septembre 1652.