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de cavalerie composées de princes et de seigneurs, des défenses de barricades par des fantassins portant les plus grands noms de France. A leur tête à tous, un grand coupable rachetait son crime envers la patrie en lui donnant l’une de ces visions d’héroïsme qui élèvent les cœurs. Condé était partout à la fois ; un « démon, » disaient les soldats du roi ; un « surhumain, » disaient les siens. Pareil aux preux des vieilles légendes, il plongeait dans la mêlée, reparaissait l’armure rougie et bossuée, et replongeait, se battant d’un courage si éclatant, si entraînant, que les gens du peuple, sur les remparts, étaient émus d’une grande pitié et murmuraient d’indignation de ce qu’on laissait un pareil homme périr sans secours. Il jetait en même temps autour de lui des ordres si nets, il avait de si merveilleuses inspirations, que ceux de ses officiers qui survécurent gardèrent le souvenir d’avoir vu véritablement, ce jour-là, un héros, un frère de Roland et de Rodrigue. La fatigue n’existait pas pour lui ; « fondu de sueur, » sous le soleil de juillet, « étouffé dans ses armes, » il se fit déshabiller, se jeta « tout nu sur l’herbe d’un pré, où il se tourna et se vautra comme les chevaux qui se veulent délasser[1], » fut rhabillé en un clin d’œil et se rejeta, frais et dispos, au plus fort des coups.

Il fallait mourir cependant, accablé sous le nombre, si Mademoiselle, arrivée enfin place de la Bastille, n’eût immédiatement fait ouvrir la porte Saint-Antoine. On lui offrit l’hospitalité dans une maison près de la Bastille ; elle y monta : « — Aussitôt que j’y fus, M. le Prince m’y vint voir ; il était dans un état pitoyable : il avait deux doigts de poussière sur le visage, ses cheveux tout mêlés ; son collet et sa chemise étaient tout pleins de sang, quoiqu’il n’eût pas été blessé ; sa cuirasse était toute pleine de coups, et il tenait son épée à la main, ayant perdu le fourreau ; il la donna à mon écuyer. Il me dit : — « Vous voyez un homme au désespoir ; j’ai perdu tous mes amis… » Il se jeta sur un siège, pleurant et me disant : — « Pardonnez à la douleur où je suis ; » et, après cela, que l’on dise qu’il n’aime rien ! Pour moi, je l’ai toujours connu tendre pour ce qu’il aime. »

Ils convinrent de leurs faits ; Condé s’en fut diriger la retraite, et Mademoiselle veiller de sa fenêtre à faire évacuer les bagages, recueillir les blessés et porter à boire aux combattans.

  1. Conrart, Mémoires.