Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/758

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moment délicieux. Dans l’après-midi, elle fît ses débuts d’orateur à l’Hôtel de ville devant une nombreuse assemblée. Très intimidée au début, elle se remit, et exposa aux Orléanais la théorie frondeuse, d’après laquelle on se battait contre le roi « pour son service, » afin de le délivrer « d’un étranger. » Rentrée au logis, elle se mit dans une violente colère en apprenant que M. de Beaufort avait attaqué une ville sans son ordre et essuyé un échec. Elle convoqua le conseil de guerre pour le lendemain soir, dans un cabaret situé hors de la ville.

Ce fut une séance orageuse, bien que des robes s’y mélangeassent aux uniformes. MM. de Beaufort et de Nemours eu vinrent aux gros mots et de là aux coups, s’arrachèrent leurs perruques et tirèrent leurs épées. Mademoiselle passa une partie de la nuit à apaiser le tumulte, qui avait gagné toute l’assistance.

Le 30, elle commença à recevoir des lettres de félicitations. Son père lui écrivit : — « Ma fille,… vous m’avez sauvé Orléans et assuré Paris ; c’est une joie publique, et tout le monde dit que votre action est digne de la petite-fille de Henri le Grand. » Condé lui disait : — « C’est un coup qui n’appartient qu’à vous, et qui est de la dernière importance. » L’état-major de Mademoiselle renchérissait sur ces complimens. Les officiers lui assuraient qu’elle avait le coup d’œil militaire, et elle en convenait de bonne grâce. Elle en était si persuadée, qu’elle écrivit à une personne de la cour une lettre destinée à être montrée à la reine, où elle déclarait « vouloir épouser le roi, » ajoutant qu’on aurait tort de la mépriser, car « elle pouvait mettre les choses en état qu’on la demanderait à genoux[1]. » Anne d’Autriche se moqua de sa nièce.

Après ces brillans débuts, le séjour d’Orléans devint moins agréable. Mademoiselle passait son temps à se fâcher : — « Je me mis en colère,… je m’emportai,… je les grondai fort… Ma colère me mena jusqu’aux larmes… » et ne parvenait pas à se faire obéir. Les autorités lui envoyaient des confitures, lui répondaient : — « Tout ce qui plaira à Mademoiselle, » et n’en faisaient qu’à leur tête. L’ennui la prit, et l’impatience de s’en aller ; Monsieur faisait la sourde oreille, la trouvant bien où elle était, pour la tranquillité du Luxembourg. Elle se passa de sa

  1. Motteville.