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lui-même, » et donnait tout bas des instructions pour la tenir en lisières. Après les adieux, il se mit à la fenêtre pour voir le départ. Mademoiselle était « en habit gris tout couvert d’or[1]. » Elle monta en voiture parmi les hourras des badauds, et fut acclamée jusqu’à sa sortie de Paris.

Le lendemain de son départ, elle rencontra une escorte envoyée au-devant d’elle par les généraux frondeurs, et fut reçue des troupes en chef d’armée : « Ils étaient en bataille et me saluèrent. » Elle monta à cheval, à la grande joie des soldats, et prit le commandement. Son premier acte d’autorité fut de faire arrêter « deux ou trois courriers, » pour lire leurs lettres. A Toury, où était le gros des troupes, elle présida le conseil de guerre et régla la marche, malgré les résistances de quelques généraux qui disaient avoir en poche des instructions de Monsieur et ne devoir obéir qu’à lui. Leur mauvaise volonté n’empêcha pas Mademoiselle d’être le lendemain à Orléans (27 mars 1652).

Les portes de la ville étaient fermées et barricadées. Mademoiselle fit dire que c’était elle ; on n’ouvrit point. Elle eut beau appeler, crier, menacer : la garnison lui rendait les honneurs militaires du haut des remparts, la population l’acclamait de loin, le gouverneur lui faisait passer des bonbons ; mais les verrous restaient tirés, tant les Orléanais avaient peur que l’armée n’entrât sur ses talons. De guerre lasse, elle se mit à longer les murailles, suivie de Mmes de Fiesque et de Frontenac, ses « maréchales de camp. » Tout Orléans était sur les murs comme au spectacle. Mademoiselle allait toujours et disait en plaisantant : « Je ferai rompre des portes, ou j’escaladerai la ville. »

A force de tourner autour d’Orléans, elle rencontra la Loire. Des bateliers vinrent lui offrir d’enfoncer une porte qui donnait sur le quai. Mademoiselle les prit au mot, leur distribua de l’argent et monta sur une butte pour les voir faire. « Je grimpai comme aurait fait un chat, me prenant à toutes les ronces et les épines, et sautant toutes les haies. » Ses gentilshommes la suppliaient de s’en retourner. Elle leur imposa silence et se confia aux bateliers. Ils la tirent passer sur des barques et grimper par une grande échelle cassée jusque devant la porte, qui résistait encore. Mademoiselle renvoya les hommes de sa

  1. Dubuisson-Aubenay, Journal.