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journée fut pour Mazarin ; les femmes le trouvaient beau et le lui disaient, les hommes lui donnaient des poignées de main. Il fit du tort à Mademoiselle, qui fut délaissée et trouva le temps long : « Jamais, dit-elle, je ne me suis tant ennuyée. » La belle mine de son ami avait rendu à la reine l’estime des Halles ; la première fois qu’Anne d’Autriche ressortit du Palais-Royal, les harengères « se jetèrent toutes en foule sur elle,… et lui demandaient pardon avec tant de cris, de larmes et de transports de joie[1], » que la reine en demeura abasourdie.

Paris avait fait les avances. La royauté les accepta, et le notifia à la France en s’invitant à l’Hôtel de ville. A défaut de journaux pour parler au pays, un bal, suivi d’un feu d’artifice à sujets symboliques, remplaça nos articles officieux. La fête eut lieu le 3 septembre avec une grande magnificence ; la ville de Paris a toujours aimé à bien faire les choses. Le petit Louis XIV y fut très admiré, et sa grande cousine presque autant : « Le roi, dit le procès-verbal officiel[2], mena Mademoiselle à la première courante, avec tant de bienséance et de mignardise, qu’on l’eût pris pour l’Amour dansant avec l’une des Grâces. » Les invités de l’Hôtel de ville, bourgeois petits et gros avec leurs femmes et leurs filles, contemplaient ce spectacle du haut de leurs tribunes, sans être admis à se mêler à la cour. Anne d’Autriche, de son côté, considérait les tribunes, sans pouvoir celer sa surprise. Ces bourgeoises étalaient un luxe égal à celui des plus grandes dames. Leurs toilettes sortaient de chez la même faiseuse, leurs diamans étaient aussi beaux. Depuis plus de trente ans que la reine assistait à toutes les l’êtes officielles, c’était la première fois qu’elle voyait cela. Elle ne comprit pas l’avertissement, et qu’il fallait compter désormais avec la bourgeoisie française.

Quand Paris eut bien pleuré de tendresse, il redevint mécontent et agité comme devant. Il y avait des soulèvemens en province. Condé se montrait impérieux et exigeant. Il essaya de se débarrasser de Mazarin en donnant un autre favori à la reine, le marquis de Jarzé, un fat et un étourneau, qui crut qu’il suffisait de se faire friser et de payer d’audace pour réussir. Anne d’Autriche le mit à la porte et en voulut mortellement à Condé. Ce grand général ne faisait que des sottises en politique. Rien ne

  1. Motteville.
  2. Registres de l’Hôtel de ville pendant la Fronde.