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des premiers. Le lendemain de leur arrivée à Paris, Mmes de Longueville et de Bouillon se présentèrent à l’Hôtel de ville pour y habiter, en otages de la fidélité de leurs maris. — « Imaginez-vous, raconte Retz, ces deux personnes sur le perron de l’Hôtel de ville, plus belles en ce qu’elles paraissaient négligées, quoiqu’elles ne le fussent pas. Elles tenaient chacune un de leurs enfans dans leurs bras, qui étaient beaux comme leurs mères. La Grève était pleine de peuple jusques au-dessus des toits ; tous les hommes jetaient des cris de joie ; toutes les femmes pleuraient de tendresse. » Econduites par les échevins, les duchesses s’installèrent quand même à l’Hôtel de ville. D’une vieille chambre qu’on leur abandonna, elles firent en quelques heures un salon luxueux qui se remplit le soir même du Tout-Paris, les femmes en grande toilette, les hommes en harnais de guerre. Des violons jouaient dans un coin, des trompettes sonnaient au dehors, et les amateurs de romans se crurent transportés dans l’Astrée, chez la nymphe Galatée.

C’est ainsi que le peuple fut dupe dès les premiers jours de la Fronde. Galatée régnait sur Paris, mais les règnes de nymphes coûtent cher. Sa cour de généraux grossissait sans cesse, et tous ces nobles qui s’offraient à la cause populaire, et que la foule acclamait naïvement, réclamaient de l’argent pour eux et leurs soldats. Ils exigeaient aussi de ne pas être oubliés le jour où le Parlement traiterait avec la cour. Le prince de Conti demandait l’entrée au Conseil, une place forte, de l’argent, des grâces pour ses amis. Le duc d’Elbeuf demandait de l’argent, un gouvernement pour son fils, des grâces pour ses amis. Le « roi des Halles, » M. de Beaufort, bote à plaisir avec sa tête somptueuse de Phébus-Apollon, affectant de parler argot et mettant toujours un mot pour un autre, demandait un gouvernement pour son père, de l’argent et des pensions pour lui-même, des grâces pour ses amis. Le maréchal de la Motte demandait un million, un régiment, des grâces pour ses amis. Ainsi de suite. Le document que j’ai sous les yeux contient seize noms[1], des plus grands de France, et tous ayant trahi leur roi pour le peuple dans l’espoir de faire une bonne affaire, tous prêts à trahir le peuple pour le roi si l’affaire paraissait meilleure.

  1. Demandes des Princes et Seigneurs qui ont pris les armes avec le Parlement et Peuple de Paris (15 mars 1649). Cette pièce, souvent réimprimée, se trouve, entre autres, dans le Choix de Mazarinades de M. C. Moreau.