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et la parole lui manqua. Mieux que tous les discours, son émotion fit sentir combien l’heure était solennelle. Le petit roi pleurait, tout le monde pleurait dans la salle, excepté la reine et Condé. Anne d’Autriche refusa encore de se laisser fléchir, et le sort en fut jeté ; la guerre civile devint inévitable. Après de grandes hésitations, l’Hôtel de ville se déclara aussi pour la résistance. La masse de la population parisienne criait à la trahison de la royauté et demandait vengeance. C’est dans ce décor tragique de la grande ville rendue furieuse par le désespoir que Mme de Longueville fit son entrée sur la scène politique.

La nature ne l’avait pas destinée aux grandes affaires. Elle était toute grâce, elle était la duchesse adorable qui a charmé les hommes par-delà son tombeau, qui les charmera tant qu’il existera un portrait pour montrer ses cheveux pâles et ses yeux doux, un historien pour dire les délices de son esprit nonchalant, « aux réveils lumineux et surprenans[1]. » L’éducation à la mode avait été sa perte. La petite cour de l’hôtel Condé, « temple de la galanterie et des beaux esprits[2], des séjours à Chantilly, où l’on vivait « à la manière de l’Astrée[3], » l’abus des romans et du théâtre, l’habitude des conversations subtiles sur l’amour, avaient rendu Mme de Longueville aussi romanesque que les héroïnes de la littérature de son temps. Elle croyait que l’on ne pouvait s’élever que par l’amour, et elle trouva sur son chemin un homme tout disposé, — c’est lui-même qui l’ose dire, — à exploiter cette folie. La Rochefoucauld visait à accroître la grandeur de sa maison et ne trouvait rien de disproportionné à mettre la France à feu et à sang pour que sa femme eût le tabouret chez la reine[4]. Sous sa direction, Mme de Longueville sacrifia sa paresse à ce qu’on lui disait être « sa gloire, » devint le centre des intrigues, et acquit une influence romanesque comme elle-même.

Beaucoup avaient été entraînés par elle, parmi les princes et seigneurs qui accoururent, après la fuite de la cour, offrir leur épée au Parlement « pour le service du roi » opprimé ; c’était la formule adoptée. Le prince de Conti et M. de Longueville furent

  1. Retz.
  2. Mémoires anonymes et inédits, cités par Chéruel.
  3. Cousin, La Jeunesse de Mme de Longueville.
  4. Cf. La Rochefoucauld, par J. Bourdeau.