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tentures précieuses et les objets d’art, dans cet intérieur à l’italienne, trop raffiné pour le temps et pour la France, où l’imagination populaire ne le voyait que jouant avec des animaux singuliers, parfumés comme leur maître, et soignant sa beauté par des secrets de toilette de son invention. Elle était joyeuse infiniment de pouvoir mettre la France à ses pieds, sous ses pieds, et c’était justement ce que la France était résolue à ne pas supporter. Les immenses services de Mazarin dans nos relations avec l’étranger n’étaient guère connus que de ses agens. Paris s’inquiétait si peu des affaires du dehors, que la paix de Westphalie[1], l’un des grands événemens de l’histoire universelle, y passa presque inaperçue. On parla incomparablement plus des marmitons du roi, qui avaient voulu piller le dîner de Mazarin, parce que leur maître « n’avait que deux petites soles, et que M. le cardinal en avait quarante[2]. » Ces choses-là, les Parisiens en étaient toujours informés ; mais le grand diplomate leur était masqué par le « beau galant » qui avait eu le talent de devenir maître de maison chez la mère du roi, et qu’ils appelaient avec mépris, pour ne citer que des mots honnêtes, « l’inventeur de pommades » ou « la moustache collée. » Quand une foule parisienne criait : « Vive le roi ! » Retz entendait l’écho répondre : « Point de Mazarin ! » La reine, comme toutes les femmes très amoureuses, ne comprenait pas ce qu’on lui reprochait, et le malentendu s’aggravait entre elle et la nation.

A peine la cour fut-elle rentrée à Paris (le 31 octobre), sur les instances du Parlement, qu’on s’aperçut du chemin qu’avaient fait les esprits en son absence. Dans le peuple, il n’était plus question de respect, ni pour la régente, ni pour le premier ministre ; l’air résonnait de chansons satiriques, les murs étaient tapissés de placards injurieux. Le Parlement, gonflé par ses succès, avait pris des allures de réunion publique. Le refroidissement de ce que les Anglais appellent le loyalisme était encore plus sensible dans l’aristocratie. Le courtisan, sa poche bourrée de libelles, calculait ce qu’il pourrait faire rapporter d’écus et de dignités au malheur de la royauté ; les grands se mesuraient des yeux ; Retz poussait ses curés dans l’opposition ; La Rochefoucauld y poussait Mme de Longueville, et Conti à travers elle. Devant cette hostilité universelle, Anne d’Autriche n’eut pas la

  1. La nouvelle en arriva à Paris le 31 octobre 1648.
  2. Olivier d’Ormesson.