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sur ma table la relation qui était venue de Paris ; au sortir de mon lit, je vis ce papier sur ma table, je le lus avec beaucoup d’étonnement et de douleur… Dans cette rencontre, je me trouvais moins bonne Française qu’ennemie. » L’aveu est à retenir, car le crime de Mademoiselle a été celui de toute la noblesse frondeuse : eux d’abord, la France ensuite.

Elle en pleura. Son père lui ayant mandé de revenir à Paris « se réjouir avec la reine, » ce lui fut un redoublement de chagrin ; depuis la scène du Palais-Royal, il lui était impossible de « se réjouir » avec Anne d’Autriche. Il fallut pourtant obéir et assister avec la cour, le 26 août, au Te Deum de Notre-Dame. — « Je me mis auprès du cardinal de Mazarin, et, comme il était en bonne humeur, je lui parlai de la liberté de Saujon, pour laquelle il me promit de travailler auprès de la reine, que je laissai au Palais-Royal, et m’en allai dîner. Je ne fus pas plus tôt arrivée à mon logis, que l’on me vint dire la rumeur qui était dans la ville, que le bourgeois prenait les armes. » C’était la réponse des Parisiens à l’arrestation inattendue de deux parlementaires, dont le vieux Broussel, l’homme qui incarnait aux yeux de la foule les doctrines humanitaires et démocratiques du président Barillon, mort pour la bonne cause. La ville s’était levée en un tour de main.

Le chagrin de Mademoiselle se dissipa. Dans le désarroi de la monarchie, elle ne pensa qu’aux embarras où allaient se trouver la reine et Monsieur, et son plaisir fut « grand. » Les Tuileries étaient situées à souhait pour observer une révolution. Les boulevards n’existaient pas, et la Seine était le centre du mouvement et des affaires, la grande rue de Paris et sa grande salle des fêtes. A plusieurs lieues en amont et en aval, les étrangers reconnaissaient à son animation qu’ils approchaient de la capitale. Du Cours-la-Reine à l’île Saint-Louis, elle était bordée de ports et de marchés en plein air, encombrée de barges à marchandises, de trains de bois, de bateaux de plaisance, de coches d’eau en forme de maisons flottantes, et de toute une batellerie légère qui guettait le client pour le mener à ses affaires, lui faire voir de près une joute de mariniers, un feu d’artifice, une sérénade sur l’eau, une galère dorée qui filait banderoles au vent, soulevée par douze paires de rames. La Seine mettait une traînée de soleil au travers des petites rues obscures. Elle était la lumière et la joie de Paris, le cœur de sa vie publique. Ses bras enveloppaient