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La reine était de ceux qui ont des yeux pour ne pas voir. Rien ne put les lui ouvrir. Le roi de France avait eu sa marmite renversée, faute d’argent pour payer les fournisseurs, et sa mère, pour apaiser les siens, avait dû mettre en gage les diamans de la couronne. Anne d’Autriche s’indignait néanmoins contre ces bourgeois qui osaient dire la France ruinée. Non qu’elle attachât de l’importance à l’opinion du Parlement, qu’elle appelait « cette canaille, » avec ses idées exotiques sur notre pays, mais toute critique lui paraissait une atteinte à l’autorité de son fils. Chacune de ses injures ajoutant à la popularité de l’opposition, celle-ci était toujours disposée à soutenir les réclamations du peuple, par intérêt autant que par sympathie : — « Les bourgeois étaient tous infectés de l’amour du bien public, » écrit avec amertume la douce Motteville. La cour n’avait donc pas à compter sur « cette canaille » en cas de difficultés.

Ni, d’ailleurs, sur elle-même ; trop d’ambitions s’y contrariaient, trop d’intrigues égoïstes, sans parler de l’instinct de la conservation, qui incitait les nobles à lutter une dernière fois contre l’établissement de la monarchie absolue, pour sauver ce qui restait à sauver de leurs anciens privilèges. Ils auraient été dans leur droit, car personne n’est tenu au suicide, si seulement ils avaient su comprendre que les devoirs envers le pays passent avant tout ; mais l’idée de patrie était encore bien trouble dans les consciences les plus claires. La Grande Mademoiselle n’hésitait pas plus que les autres, quand les intérêts de sa maison se trouvaient opposés à ceux du royaume. Elle raconte qu’après l’affaire Saujon[1], elle s’était à peu près retirée de la cour : « Je ne croyais pas que la présence d’une personne que la reine avait si fort maltraitée lui pût être agréable. » Elle allait faire des séjours à son château de Bois-le-Vicomte, près de Meaux, et ce fut là qu’on lui envoya la nouvelle de la bataille de Lens (20 août 1648). La petite cour de Mademoiselle savait que sa princesse verrait un malheur personnel dans le bonheur de nos armes ; c’était de la gloire en plus pour le prince de Condé, du crédit et de l’influence en plus pour cette autre branche cadette, aux prétentions insolentes, dont les usurpations avaient mis entre leurs maisons une aigreur que la mort du vieux Condé (1646) n’avait pu adoucir. « Personne ne me l’osa dire, continue Mademoiselle ; l’on mit

  1. En mai 1648. Voyez la Revue du 15 août 1900.