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l’oppression qui jetaient la France dans une sorte de désespoir. La majesté du trône ne les arrêtait plus, et c’était aux séances solennelles des lits de justice, ou dans les salons même du Palais-Royal, en présentant les remontrances de leur corps, qu’ils prononçaient leurs philippiques les plus véhémentes. L’enfant-roi les écoutait, assis à côté de sa mère ; s’il ne comprenait pas toujours leurs paroles, il ne pardonna jamais le ton dont elles étaient prononcées. La cour les considérait avec étonnement, et Mademoiselle, en ce temps-là, ne bougeait de la cour ; ses Mémoires ne font néanmoins aucune allusion à ces révoltes de l’opinion, tant elle avait été loin d’en saisir la portée ; elle l’avait aussi peu comprise que la reine, et c’est tout dire. Il n’y avait que soixante ans des barricades de la Ligue, il n’y en avait que dix d’une comédie appelée Alizon, où une ancienne ligueuse a pour les soldats du roi les yeux de nos communardes pour les Versaillais ; le peuple parisien n’avait jamais cessé d’entretenir ses vieilles armes, dans la pensée qu’elles resserviraient ; et la régente de France s’imaginait avoir paré à tout en défendant aux Français, par une ordonnance, de parler politique.

Un esprit nouveau montait des profondeurs de la nation dans les classes moyennes, où il avait déjà trouvé un apôtre. C’était un parlementaire, le président Barillon. « Il avait, dit Mme de Motteville, un peu de cette teinture de quelques hommes de notre siècle qui haïssent toujours les heureux et les puissans. Ils estiment qu’il est d’un grand cœur de n’aimer que les misérables, et cela les engage incessamment dans les partis qui sont contraires à la cour. » Les temps n’étaient pas mûrs pour les haines qui balayent sous nos yeux les vieilles sociétés, et le président Barillon était condamné à succomber. Tant que la reine avait été malheureuse, il lui avait été tout dévoué. Lors de son veuvage, il avait contribué à lui faire donner le pouvoir, la croyant, je ne sais sur quels fondemens, acquise à ses théories sur les droits des humbles et les devoirs des gouvernemens envers les peuples. La désillusion ne se fit pas attendre, et Barillon, de chagrin, se jeta dans l’opposition avancée. Anne d’Autriche était incapable de comprendre cette âme passionnée. Elle en voulut à son vieil ami et le fit enfermer à Pignerol, où il mourut, « regretté de tout le monde, » dit encore Mme de Motteville. Le président Barillon est déjà un précurseur des idéologues du XVIIIe siècle et des socialistes du XIXe.