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actuels tiennent à une crise qui date pour le moins du jour où un certain nombre de libéraux se sont séparés du parti pour se joindre aux conservateurs sous le nom d’unionistes. On a cru généralement que le home rule avait été la cause principale et même unique de cette séparation, mais on s’est trompé. Déjà à cette époque le parti libéral comprenait deux fractions dont l’une était composée d’« insulaires » et l’autre d’« impérialistes : » ces deux mots, qui n’ont pas besoin d’être définis, représentent deux politiques opposées. Ce qui était moins distinct en 1886 l’est devenu chaque jour davantage. Aujourd’hui la division du parti a pris un caractère d’évidence absolue et elle est irrémédiable. Le parti ressemble à une barque sur laquelle ceux-ci rament dans un sens et ceux-là dans l’autre : il n’est pas surprenant que la barque ne marche pas. Et il en sera ainsi jusqu’à ce que l’une des fractions du parti ait pris sur l’autre une prépondérance qui lui permette de la discipliner. Alors l’union sera rétablie, mais non pas avant. Voilà la vérité : lord Rosebery se flatte de l’avoir dite tout entière, comme il convient à un homme qui occupe une situation aussi indépendante et aussi désintéressée que le sienne. Aux autres à en faire leur profit.

Telle est l’analyse de la lettre qu’il a adressée aux membres du City Libéral Club. C’est à coup sûr la lettre d’un mécontent. Lord Rosebery est mécontent de tout et de tous. Il ne l’est pas moins du gouvernement que de l’opposition : il trouve que le premier est faible et que la seconde est incohérente. Et, certes, il y a beaucoup de vrai dans ses critiques ; mais la critique est aisée, surtout de la part d’un homme qui affecte de ne pas vouloir revenir aux affaires. S’il y revenait, voyons ce qu’il ferait.

Sa lettre nous le dit : il estime qu’un véritable homme d’État doit se conformer à l’opinion régnante quelle qu’elle soit, et la suivre docilement. Or, l’opinion qui domine aujourd’hui en Angleterre est assez apparente pour qu’on ne puisse pas s’y tromper. Il n’en est pas toujours ainsi ; mais peut-être, avec les progrès de la mécanique, arrivera-t-on à faire un appareil enregistreur de l’opinion, grâce auquel tout le monde pourra être un homme d’État à bon marché. Laissons à lord Rosebery la responsabilité de sa théorie. L’exemple de Fox, sur lequel il s’appuie, n’est pas décisif à nos yeux : il serait facile, sans faire preuve d’une grande érudition historique, d’en citer certains autres à l’honneur d’hommes et de partis politiques qui ont mérité la reconnaissance de leur pays en résistant à ses égaremens. A la vérité, la justice, en pareil cas, est plus lente à venir, et cela ne convient pas aux gens pressés. Au reste, nous n’avons pas à discuter la lettre de