Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/714

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui. On aurait aimé à le voir prendre une attitude plus résolue ; mais le pouvait-il ? Gladstone peut-être, avec son prestige personnel, aurait réussi à la lui imposer ; encore n’est-ce pas bien certain : aucun de ses héritiers n’était à même de le faire. En se prononçant pour ou contre la guerre sud-africaine, sir Henry Campbell Bannerman aurait provoqué à coup sûr la défection d’une partie notable de ses amis : ils n’étaient pas d’accord, on le voit de reste aujourd’hui, et l’affirmation d’une politique bien tranchée aurait achevé de les diviser, quelle qu’eût été d’ailleurs cette politique. On avait le choix entre se séparer de ceux-ci ou de ceux-là : dans un cas comme dans l’autre, l’inconvénient aurait été le même et le parti aurait irrémédiablement perdu le peu de cohésion qui lui restait encore. La question était donc de savoir s’il fallait procéder à la liquidation définitive du parti libéral tel qu’il existe actuellement, ou s’il ne valait pas mieux, en vue de l’avenir, en sauver ce qui pouvait être sauvé. Lord Rosebery est pour le premier système ; sir Henry Campbell Bannerman a préféré le second.

Il lui est arrivé, il y a quelques semaines, à la fin d’un banquet, de tenir un langage plus ferme qu’il ne l’avait fait jusqu’alors. Sans désapprouver la guerre du Transvaal dans son principe, il a critiqué avec une certaine véhémence la direction qui lui avait été donnée. Il nous semble, à nous autres Européens continentaux, que c’était là le minimum de ce qu’un chef de parti d’opposition pouvait dire : pourtant sir Henry ne l’avait pas encore dit, par une prudence que nous pouvions juger excessive, mais que les incidens ultérieurs ont justifiée. Ce langage si réservé a produit une vive émotion chez un certain nombre de libéraux, ceux qui sont entrés en coquetterie avec l’impérialisme et qui, désespérant de contenir et de modérer l’opinion, ont cru plus habile et plus profitable de la flatter. Il semble bien que ce soit le cas de M. Asquith. Il s’exprimait autrefois sur la guerre du Transvaal, à en juger d’après les citations de ses discours faites par les journaux, avec la sévérité la plus implacable, sévérité dans le fond, sévérité dans la forme. Il n’avait pas alors d’expressions assez dures, assez flétrissantes même pour caractériser une politique de simple piraterie. Mais depuis il s’est ravisé, ce qui était assurément son droit, et a fortement penché du côté de l’impérialisme sans aller pourtant jusqu’à y tomber. Ému du langage de sir Henry Campbell Bannerman, il en a tenu un autre sensiblement différent, et on a pu apercevoir entre les deux orateurs le commencement d’une scission que tout aussitôt les uns se sont appliqués à opérer et les autres à empêcher, ou du moins à ajourner. Les libéraux impérialistes ont