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n’avait pas su y rétablir l’union. Malgré sa haute valeur, il manquait d’une autorité assez grande pour dominer les divergences, et peut-être aussi les rivalités de quelques-uns de ses collaborateurs. On a cru qu’un homme plus effacé conviendrait mieux aux circonstances, mais on n’avait pas prévu à quel point elles deviendraient graves. C’est une cruelle fortune pour un parti divisé, et pour un chef qui n’exerce pas sur lui un ascendant incontesté, que d’avoir à faire face à une épreuve aussi redoutable et, à tous égards, aussi démoralisante que celle de la guerre sud-africaine. Sur le parti libéral, déjà si profondément ébranlé et entamé, cette épreuve a agi comme un dissolvant d’une extrême énergie. Puisqu’il était dans l’opposition, il aurait eu, ce semble, pour rôle naturel et normal de critiquer la guerre, soit dans ses origines, soit dans sa conduite : le malheur est qu’il a été atteint, comme toute l’Angleterre, de la manie d’impérialisme qui y sévit en ce moment avec tant d’acuité et d’impétuosité. Comment y aurait-il échappé ? Il lui aurait fallu pour cela une vertu supérieure. Le mouvement de l’opinion avait pris une telle violence qu’à vouloir y résister, on se serait infailliblement brisé. Quelques hommes d’une probité morale exceptionnelle ont pu le faire ; quelques autres l’ont fait, parce qu’ils dédaignent l’opinion et qu’ils aiment à la braver ; mais un parti a d’autres obligations et d’autres soucis. Ce n’est pas être juste pour les libéraux, qui ont été surpris en plein désarroi par la plus épouvantable bourrasque, ni pour leur chef, qui n’en pouvait mais, que de les écraser sous le poids des événemens. Qu’auraient donc fait, à la place de sir Henry Campbell Bannerman, M. Asquith, sir Edward Grey, ou lord Rosebery lui-même ? D’après le langage qu’ils tiennent maintenant, et qui d’ailleurs, au moins pour quelques-uns d’entre eux, est différent de celui qu’ils tenaient naguère, il est assez probable qu’ils auraient encore augmenté la désagrégation du parti ; et, avec le dernier d’entre eux, lord Rosebery, cette probabilité devient une certitude, puisque aussi bien et de son propre aveu, c’est le but qu’il poursuit. Sir Henry Campbell Bannerman en a poursuivi un autre : il s’est efforcé de maintenir tant bien que mal ce qui restait encore d’union dans le parti, en ne lui imposant pas, au sujet de la guerre sud-africaine et de l’impérialisme dont elle est actuellement la manifestation la plus éclatante, une opinion uniforme et absolue.

Sans doute il aurait mieux valu pouvoir adopter une règle plus étroite, et l’impression générale dans le monde, — nous l’avons nous-mêmes exprimée à diverses reprises, — est que le parti libéral anglais a été au-dessous de ce que son glorieux passé permettait d’attendre de