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déclarées nous instruisent : de quelque façon que le monde se réforme, elles iront toujours au beau bandit qui le brave et y terrasse le plus faible.

C’est un recul, par delà ses prédécesseurs immédiats, jusqu’à l’idéal aristocratique du romantisme. Gorky a démocratisé cet idéal, voilà tout. Les gentilshommes de Pouchkine et de Lermontof souffraient du mal de vivre dans les salons de Pétersbourg ; ces nobles incompris y protestaient contre la platitude du beau monde ; leur ennui héroïque allait quérir au loin l’indépendance, l’aventure, la liberté des passions. Oniéguine et Petchorine revivent dans leurs petits-fils plébéiens, Tehelkach, Sériojka, Konovalof. Ils ont perdu leur élégance native, échangé le manteau byronien contre la chemise rouge du moujik ; ils vont nu-pieds, parlent argot, boivent de l’eau-de-vie au lieu de vin de Champagne ; pour le reste, ils nous reviennent et ressortent par en bas avec leur même cœur infirme et enflé. Le « lion » romantique demeure ce qu’il était jadis, tel que notre raison le voit au naturel, à travers les prestiges littéraires qui séduisirent nos imaginations : — un jeune animal égoïste, orgueilleux, débridé.

Ah ! qu’il est étroit, le cercle où ; tournent dans le temps nos esprits avides de renouveau ! — Dans le temps et dans l’espace. Si j’insiste sur cette résurrection d’un romantisme mal déguisé, c’est que le phénomène passe par-dessus la tête de Gorky, pardessus la Russie, et caractérise dans toute l’Europe les écrivains qui ont l’audience des jeunes générations.

La science des électriciens nous ouvre un horizon illimité avec les merveilles de la télégraphie sans fils. Il semble en vérité que ces mystérieuses transmissions aient leur équivalent dans le monde de l’intelligence. Là aussi, sans conducteurs apparens, des communications soudaines s’établissent entre des esprits fort éloignés les uns des autres, façonnés par des cultures différentes, et qui rendent le même son au même instant. Rapprochez par la pensée trois écrivains d’imagination que nous devons tenir pour très représentatifs, puisqu’ils sont en ce moment, dans leurs pays respectifs, les plus, portés par le succès, les plus goûtés par la jeunesse c’est vraisemblablement qu’ils expriment et flattent ses tendances, visibles dans leurs écrits, manifestées par ailleurs dans l’évolution sociale. La Russie nous donne Maxime Gorky ; l’Italie, Gabriel d’Annunzio ; la nouvelle Angleterre, Rudyard Kipling.