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Aussitôt après que le médecin aura dit à vos proches : — Il est mort ! — vous entrerez dans une région sans limites, brillamment éclairée, et ce sera la région de la connaissance de vos fautes. — Vous gisez dans le sépulcre, dans un étroit cercueil, et devant vous repasse, en tournant comme une roue, votre pauvre vie. Elle se meut avec une lenteur martyrisante, elle repasse toute, depuis votre premier pas conscient jusqu’à la dernière minute. Vous revoyez tout ce qu’on se cache à soi-même durant la vie, tout le mensonge et toute l’infamie de votre existence, vous repensez toutes vos pensées, vous apercevez chacun de vos faux pas ; toute votre vie se renouvelle, seconde par seconde. Et, pour accroître votre tourment, vous savez que, sur ce même chemin étroit et stupide où vous avez marché, d’autres viennent, se pressent, se poussent les uns les autres, et mentent… Vous comprenez alors qu’ils ne font tout cela qu’afin d’apprendre combien il est honteux de vivre d’une vie si basse, si dépourvue d’âme.


Bien habile, qui débrouillera la philosophie de Gorky ; l’auteur lui-même s’en déclare incapable, dans l’expansion de sincérité qui lui a dicté un de ses récits, Le Lecteur. Il sortait d’une réunion où des amis venaient d’applaudir sa dernière œuvre : un sardonique et mystérieux individu l’aborde. Tout porte à croire que ce personnage symbolise la conscience. L’inconnu lui demande de quel droit il enseigne les hommes, au nom de quel principe, et quelle vérité il leur apporte. L’écrivain ne trouve rien à répondre. Le trouble-fête continue à le torturer jusqu’au matin.


Tu es trop pauvre pour donner aux hommes quelque chose de précieux ; et ce que tu leur donnes, tu ne le donnes point pour la haute satisfaction d’enrichir la vie de belles pensées et de belles paroles, mais bien plutôt pour que le fait accidentel de ton existence devienne un phénomène nécessaire à la société. Tu donnes afin de prendre davantage à la vie et aux hommes… Sais-tu seulement aimer les hommes ?


L’écrivain s’interroge, et, tout bien réfléchi, avoue qu’il n’en sait rien. Plus explicites encore sont les aveux qu’il fait à son confesseur de rencontre.


Je découvre en moi beaucoup de bons sentimens et d’aspirations saines, une quantité suffisante de ce qu’on nomme communément le bien ; mais le sentiment qui réunirait tous les autres, la pensée claire et constructive qui ordonne tous les phénomènes de la vie, je ne les trouve pas en moi… Que puis-je dire aux hommes ? Ce qu’on leur a toujours dit et ce qu’on leur dira toujours, ce : qui rassemble des auditeurs, mais ne fait pas les hommes meilleurs. Ai-je le droit de leur prêcher mes idées, alors que moi-même, tout pénétré que j’en suis, je fais souvent le contraire de ce qu’elles commandent ?