Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/675

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la férocité de l’amour chez les belles filles du Kouban, la beauté le la vie libre, et combien pourtant la vie est vaine, lourde sur le cœur qui n’en devine pas le sens… « Tu ne trouveras pas de cheval sur lequel tu puisses t’échapper de toi-même… » Nous entendons dans ce récit l’écho d’une voix connue, celle du Petchorine de Lermontof. De même Izerguil est authentiquement une fille de Pouchkine ; l’Aleko des Tsiganes a rêvé, gémi, crié tous les sentimens effrénés qui flambent dans les histoires de la vieille tatare de Crimée. Très belle est la légende de Larra, l’enfant de la fille enlevée par un aigle ; il rapporte les instincts paternels parmi les hommes de sa tribu, ses mains déchirent comme des serres la poitrine de la femme qu’il aime, rien ne peut abattre en lui l’orgueil satanique dont héritent les fils des sigles, surtout quand ils sont nés aux environs de 1830.

Il y a peu d’originalité dans l’invention de ces personnages, peu de vérité dans les âmes conventionnelles que Gorky recrée en eux sur les patrons du romantisme ; mais les esquisses orientales du jeune prosateur révèlent le don de sentir et de peindre. Le genre des tableaux a vieilli : tout est jeune et fort dans leur facture, éclat de la couleur, richesse et propriété des images, intensité d’une émotion contenue chez le narrateur. Elle est d’un vrai poète, la description de cette fin de jour, sur la côte de Crimée, alors qu’Izerguil remémore ses anciennes amours : les chants des vendangeuses qui s’en vont vers la mer font au récit mélancolique une sourdine joyeuse, décroissante dans la nuit comme les souvenirs de la vieille femme.


Sa voix sèche sonnait sans vibrations, elle craquait, comme si la vieille parlait avec ses os… On eût dit que son récit était susurré par des siècles oubliés, accumulés dans son sein à l’ombre des souvenirs. Et la mer accompagnait lentement le début d’une de ces anciennes légendes, qui, peut-être, naquirent sur ses rivages.


L’auteur prête à Izerguil des réflexions d’une éloquence simple et juste.


Dans la vie, vois-tu, il y a toujours une place pour les exploits ; ceux qui ne la trouvent pas sont des fainéans et des poltrons ; ou bien ils ne comprennent rien à la vie : parce que, si les hommes comprenaient la vie, chacun d’eux voudrait laisser après lui son ombre sur elle. — J’ai eu cette chance de ne plus jamais me rencontrer avec les hommes que j’avais aimés dans le temps : ce sont de mauvaises rencontres, comme si l’on rencontrait des morts…