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plus longue haleine, tout ce qu’il publiait depuis quelques années dans les revues russes. L’étude critique et biographique de M. Botsianovsky, — Gorky a déjà des biographes, — nous fait connaître l’homme et sa vie. Je laisse à mon excellent guide la -responsabilité des éclaircissemens qu’il donne sur cette vie agitée. Le contrôle des informations n’est pas chose aisée en Russie ; on s’apitoyait naguère sur la disparition de Gorky, on le disait en butte aux persécutions, exilé, emprisonné… Il était simplement malade à Nijni ; un journal annonce qu’il est heureusement rétabli, tout à son travail.

Quelle est la valeur de l’écrivain auquel ses admirateurs font un si large crédit ? Par où se rattache-t-il à la lignée de ses grands devanciers et par quoi diffère-t-il d’eux ? Qu’apporte-t-il de nouveau, et comment dépose-t-il sur ce peuple dont on veut qu’il soit le truchement ? C’est là surtout ce qui nous intéresse et ce que j’essaierai de démêler ici.


I

Il s’appelle de son vrai nom Alexis Maximovitch Pechkof. Nom mort-né, qui restera à jamais enseveli dans un registre paroissial. La Russie ne connaît son jeune favori que sous le nom de guerre qu’il s’est choisi : Maxime Gorky, littéralement « Maxime l’Amer. » Amère, en vérité, fut son enfance. Il naquit en 1869, à Nijni-Novgorod, dans la boutique d’un teinturier. Ses origines renseigneront peut-être les psychologues hasardeux qui cherchent dans une intelligence les composantes obscures de l’atavisme. Son grand-père paternel, officier dans un corps de troupes en Sibérie, y exerça de tels sévices sur les soldats qu’il fut cassé par l’empereur Nicolas. Le tyran intraitable mit en fuite son propre fils, un adolescent qui s’échappa de Tobolsk, à pied, et gagna Nijni, où il vécut d’une chétive industrie. Le père de Gorky épousa « à la dérobée, » contre le gré de la famille, la fille d’un riche marchand. Ce grand-père maternel, à ses débuts simple bourlak, ou haleur de barques sur le fleuve, avait fait fortune à force d’intelligence et de volonté. Le romancier s’est souvenu de lui dans son Thomas Gordiéef, il lui a emprunté quelques-uns des traits de mœurs qui caractérisent les vieux marchands moscovites.

Le richard se ruina, le père et la mère d’Alexis moururent,