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MAXIME GORKY
L’ŒUVRE ET L’HOMME


M. Gorky : Razskazy (Œuvre complètes), 4 vol., édition de la Société Znanie, Saint-Pétersbourg, 1901. — V. Th. Botsianovsky : Maxime Gorky, étude biographique et critique, 1 vol., typographie Souvorine. Saint-Pétersbourg, 1901.


Je voudrais rentrer aujourd’hui dans l’obscure, l’innombrable forêt russe. Je l’entends qui me rappelle, tout au bout de la longue route parcourue depuis que je l’ai quittée. Les brumes des ans accumulés l’interceptent. Que disent-ils, que pensent-ils, dans ces fonds de sourdes ténèbres ? Ont-ils mis de nouvelles paroles sur les vieux airs, si tristes, que tant de millions de voix répètent chaque nuit, sur les fleuves et dans la steppe, avec l’accent déchirant d’une passion sans joie ? Respiration du géant endormi, seul indice qui révèle les battemens de ce cœur silencieux.

L’Occident croit savoir quelque chose de la Russie, depuis que nous allons plus vite, et plus souvent, rôder sur la lisière de la forêt. Des bruits nous arrivent de la surface, un peu plus que par le passé : bruits de la petite poignée d’hommes qui parlent et remuent au-dessus de ces multitudes taciturnes, immobiles ; oracles de la presse, consignes officielles, faits divers de la politique, dialogues des fonctionnaires d’en haut et des conspirateurs d’en bas, ceux dont parlait Job, « qui maudissent le jour et s’apprêtent à susciter Léviathan… Penses-tu, ajoutait le sage, que tu soulèveras Léviathan avec un hameçon ? Béhémoth dort sous l’ombre, dans le secret des roseaux et dans des lieuxhu inities… Il absorbera le fleuve, et il n’en sera pas étonné. » — Tous