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II

L’autre idée essentielle de la Révolution française, c’est l’idée de la souveraineté de la nation. Elle ne dérive pas de la première : mais elle s’accorde et s’ajuste très précisément avec elle.

Elle n’en dérive pas ; car, de cette idée : « personne ne sera au-dessus d’un autre, » relativement au commandement, que peut-on conclure ? Si personne ne doit être au-dessus d’un autre, qui commandera ? Personne. Voilà la réponse de l’anarchiste ; l’idée d’égalité peut conduire à l’anarchie. — Mais, d’autre part : si personne ne doit être au-dessus d’un autre, qui commandera ? Tout le monde. Voilà la réponse de celui qui veut que, l’égalité établie, il y ait encore un État ; voilà la réponse de l’étatiste. Et, en effet, l’égalité n’est point choquée de ce que le commandement s’adresse et s’impose à tous, si, aussi, il vient de tous. Tous ordonnent, tous obéissent ; l’égalité est parfaite. L’idée de souveraineté du peuple ne dérive pas de l’idée d’égalité ; mais elle s’y ajuste.

A la vérité, il y a bien quelque embarras. « Tous ordonnent, tous obéissent, » n’est, tout compte fait, qu’une fiction. Tous, en pratique, c’est la majorité ; c’est la moitié plus un. Le droit de la moitié moins un, que devient-il ? Et de cet embarras nous trouvons des traces dans les contradictions dont sont pleines, comme nous en avons donné déjà quelques exemples, les deux Déclarations (surtout la seconde). D’une part, la Déclaration de 1793 dit : « La souveraineté réside dans le peuple ; elle est une et indivisible, imprescriptible et inaliénable. » Mais, d’autre part, la même Déclaration dit encore : « Aucune portion du peuple ne peut exercer la puissance du peuple entier, » et elle dit aussi : « que tout individu qui usurperait la souveraineté soit à l’instant mis à mort par les hommes libres. » Et ceci vise la royauté, et cela vise l’aristocratie. Sans doute ; mais la moitié plus un du peuple n’est, cependant, qu’une portion du peuple. Donc la moitié plus un tombe sous le coup de l’article : « Aucune portion du peuple ne peut exercer la puissance du peuple, entier ; » et l’insurrection de la moitié moins un contre la moitié plus un est légitime, surtout quand cette moitié plus un, comme il arrive toujours à cause des abstentions, n’est qu’un tiers, ou, comme c’était l’ordinaire sous la Révolution, un cinquième. Et, en