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gagné à détruire l’aristocratie des nobles, si elle est remplacée par l’aristocratie des riches ? Et, si nous devons gémir sous le joug de ces nouveaux parvenus, mieux valait conserver les ordres privilégiés… Pères de la patrie, vous êtes les favoris de la fortune ; nous ne vous demandons pas aujourd’hui à partager vos possessions, ces biens que le ciel a donnés en commun aux hommes… » — C’était (plus clairement) l’idée du journal les Révolutions de Paris : «… Vous ne vous apercevez donc pas que la Révolution française, pour laquelle vous combattez, dites-vous, en citoyen, est une véritable loi agraire, mise à exécution par le peuple ? Il est rentré dans ses droits ; un pas de plus, il rentrera dans ses biens. » — C’est, nettement cette fois, et sous sa forme pratique, celle du collectivisme, l’idée de Babeuf. On doit considérer l’Analyse de la doctrine de Babeuf, brochure répandue et placard affiché en 1796, comme la troisième Déclaration des droits. On y trouve ces axiomes, développemens indiscutablement logiques du principe de l’égalité : « La nature a donné à chaque homme un droit égal à la jouissance de tous les biens. Les travaux et les jouissances doivent être communs. Il ne doit y avoir ni riches ni pauvres. Le but de la Révolution est de détruire l’inégalité. »

Et le Manifeste des Égaux doit être considéré comme un supplément à la Constitution de 1793. Le passage du partagisme enfantin de 1793 au socialisme réellement et efficacement égalitaire y est admirablement marqué et défini : « La loi agraire ou le partage des campagnes fut le vœu instantané de quelques soldats sans principes, de quelques peuplades mues par leur instinct plutôt que par la raison. Nous tendons à quelque chose de plus sublime et de plus équitable : le bien commun ou la communauté des biens. Plus de propriétés individuelles des terres : la terre n’est à personne ; les fruits sont à tout le monde. »

Mais ce n’est pas tout ; ce n’est presque rien. Le dogme, c’est l’égalité ; la vérité, c’est l’égalité ; donc il faut poursuivre l’inégalité jusqu’en son fort ; il faut pousser à bout l’inégalité. Les hommes sont inégaux en force, en courage, en intelligence. Ils ne doivent pas l’être ; car c’est contraire, sinon à la Déclaration de 1789, du moins à la déclaration de 1793, qui a dit : « Tous les hommes sont égaux par la nature et devant la loi. » S’il existe des inégalités naturelles, c’est la nature qui a tort, et il faut s’efforcer de les atténuer jusqu’à les détruire, ou de les entraver jusqu’à les empêcher de sortir leurs effets.