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ce qui est de l’accès aux places et fonctions, il parut logique que fût établie d’abord l’égalité des conditions pour assurer l’égalité des droits. et, d’autre part, pour elle-même, l’égalité des conditions parut non seulement désirable, mais nécessaire, sitôt qu’on s’aperçut, précisément pour avoir obtenu l’égalité civile, que peu de chose était changé et que la plus blessante des inégalités est certainement celle qui consiste en ce que l’un possède beaucoup et l’autre infiniment peu.

— Mais c’était la propriété qui s’en allait et l’héritage ! — Précisément ; et voilà que commence cette antinomie entre les deux principes essentiels de la Révolution : égalité », souveraineté du peuple et tous les autres pseudo-principes que les révolutionnaires avaient d’abord acceptés pêle-mêle. Le duel, pour se borner à celui-ci pour le moment, entre l’égalité et la propriété, a été permanent pendant la Révolution, comme depuis.

Remarquez que les anti-propriétaires de ce temps-là pouvaient se réclamer de la Déclaration elle-même. Elle disait : « Les droits sacrés et inaliénables de l’homme sont la liberté, l’égalité, la sûreté, la propriété. » Cela peut vouloir dire : « Les propriétés sont inattaquables. » Mais cela peut vouloir dire, et en bon français c’est le vrai sens : « Tous les hommes ont droit à la propriété, comme à la liberté, à l’égalité et à la sûreté. » Si la liberté est un droit de l’homme, tous les hommes doivent être libres ; si l’égalité est un droit de l’homme, tous les hommes doivent être égaux ; si la propriété est un droit de l’homme, tous les hommes doivent être propriétaires.

Et remarquez bien que je ne joue point. Le socialisme du temps de la Révolution a précisément entendu les choses ainsi. Partout où le socialisme a paru au cours de la Révolution, jusqu’à Babeuf exclusivement, c’est sous forme, non de collectivisme, mais de partagisme ; et c’est-à-dire que les révolutionnaires socialistes interprétaient l’article 2 de la Déclaration de 1789 et l’article 2 de la Déclaration de 1793 comme je faisais tout à l’heure : tout homme a droit à être propriétaire de quelque chose ; donc il faut partager les biens.

A la vérité, l’interprétation différente était donnée par les Déclarations, qui, celle de 1789 par son article 17, celle de 1793, par son article 19, affirmaient que nul ne saurait être prive ; de sa propriété, ni de la moindre fraction de sa propriété. C’était donc bien le droit du propriétaire existant sur sa propriété