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chronique de la fin du XIVe siècle, est fort belle et possède un bon port de haute mer. Les navires y entrent par l’embouchure d’une rivière qui la traverse, et la mer en enveloppe la moitié ; l’autre moitié est couverte par une bonne muraille flanquée de fortes tours et par un fossé à escarpes maçonnées et rempli d’eau. Les portes sont doubles, précédées de ponts-levis, et chacune est placée entre deux tours. Cette ville est toujours approvisionnée ; elle fait un riche commerce et fabrique de très beaux draps. Paris se trouve à cinquante lieues plus haut, et les barques vont et viennent entre les deux villes[1]. »

Le port comprenait alors deux bassins : le premier, extérieur, sous les murs de la ville, spécialement destiné aux navires de guerre et qu’on appelait le « clos aux galères ; » l’autre, presque exclusivement affecté aux barques de commerce et aux nefs chargées de marchandises, qui pénétrait à l’intérieur de la ville et n’était autre chose que la rivière de la Lézarde elle-même, convenablement élargie. Le commerce y était très florissant. On y importait des vins, des huiles de poisson, des épices, du poisson salé, des étoiles, des cuirs, des métaux ; on exportait surtout des fourrages, des céréales, des fruits ; et on entretenait des relations assez actives avec l’Espagne, le Portugal, la Bretagne, la Hollande, l’Angleterre, l’Ecosse et l’Irlande.

Pris deux fois par les Anglais, Harfleur fut définitivement réuni à la couronne en 1450 ; mais, à partir de sa délivrance, il trouva dans la puissance d’envasement de la Seine un ennemi plus redoutable que l’étranger ; et, trois siècles après, il était complètement atterri. « Le port, peut-on lire dans un document militaire de la fin du XVIIIe siècle, n’est plus qu’une prairie traversée par la Lézarde, et l’on y distingue encore tous les fondemens de l’enceinte. La ville, qui fut autrefois l’arsenal de la marine et la clef du royaume, ne présente plus qu’un bassin comblé où paissent des troupeaux, des maisons chancelantes, des maisons foudroyées et des ruines. »

Les atterrissemens de la Seine, d’une part, de l’autre, l’envahissement progressif des galets, arrachés aux falaises de la côte et qui pénètrent dans l’estuaire du fleuve à toutes les grandes marées, ont à peu près comblé la petite baie de l’Eure dans laquelle débouchait la Lézarde. Ces dépôts ont d’abord déterminé

  1. 1405, Cronica de Don Pedro Nino, conde de Buelna. Réimpr. Madrid, 1782.