Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/492

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’en cet essai d’organisation ou de réorganisation sociale on trouve un peu de tout ce qu’on retrouvera plus tard dans d’autres rêves d’instauration ab imis fundamentis : tout à l’heure nous dégagerons et marquerons mieux le lien de parenté ; alors, d’une théorie, d’une construction à l’autre, la filiation, parfois inavouée, apparaîtra.

Cependant la part de la déclamation pure y est aussi très abondante, et c’est le moment de nommer au moins le roi des déclamateurs de ce temps et sans doute de tous les temps : J. -J. Rousseau. Je dis : de le nommer, de nommer au moins trois ou quatre de ses ouvrages : le Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes et le Discours sur l’Économie politique (1755) ; le Contrat social ; Emile ou de l’Education (1762) ; et j’aurais raison de le dire, s’il ne s’agissait que du Travail, et si l’on ne cherchait et ne retenait que des idées suffisamment précises sur ce point particulier ; mais j’ai tort, si l’on considère les deux autres termes du problème : le Nombre et l’Etat, et si l’on songe que ces livres ont eu sur la direction générale des esprits pendant un demi-siècle une influence incomparable. Il n’en est peut-être point dans toute la littérature qui jamais aient remué aussi profondément l’âme, la conscience et la volonté des hommes ; il n’en est pas où les mots aient été si manifestement, si rapidement, si invinciblement des forces[1]. Ils sont comme un foyer intense dont la chaleur, en se communiquant, crée du mouvement de proche en proche. Presque tout ce qu’ils disent, on l’avait déjà dit, mais on ne l’avait pas dit encore de ce ton et avec cet accent.

  1. Je sais que le sens où j’emploie, dans tout cet article, le mot d’idées-forces n’est pas tout à fait celui que son auteur, M. Alfred Fouillée, lui a donné et lui conserve ordinairement ; mais peut-être n’en est-ce pas pourtant un abus impardonnable, si, moyennant cette légère déviation, la langue politique peut l’emprunter au langage philosophique.