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REVUE LITTÉRAIRE

LES DERNIERS TRAVAUX DE LA PSYCHOLOGIE COLLECTIVE

On sait la mésaventure de ce personnage qui avait perdu son ombre ; plus malheureux que lui, c’est notre personne même que nous sommes en train de perdre. Au temps où les disciples de Cousin reconnaissaient et décrivaient les facultés de l’aine comme autant de provinces distinctes d’un pays aux limites précises, chacun de nous était assuré de la réalité, de l’unité, de l’impénétrabilité du Moi. On était tranquille : on vivait chacun chez soi. Il n’en est plus de même, et ç’a été le rôle de la psychologie contemporaine que de dissiper cette illusion. Nous nous sommes aperçus d’abord que la plupart des idées et des sentimens dont nous nous faisions honneur et parfois honte ont été déposés en nous par la longue série des générations qui nous ont précédés : nous avons discerné en nous tout un concert de voix lointaines, ne laissant à notre propre voix que la valeur d’un faible écho. Avec les recherches sur la psychologie des races et sur l’inconscient, notre personnalité s’évanouissait dans le passé ; voici qu’elle va s’évaporant dans le présent. C’est l’affaire d’une science de fondation récente : la psychologie collective. Les maîtres en sont, chez nous, M. Tarde, en Italie, M. Sighele[1]. En lui donnant le nom de science, encore faut-il s’entendre et craindre de lui faire tort. Elle en est à ses débuts, aux premières définitions et classifications ; et, fût-elle plus avancée, on sait de reste que toute étude qui a

  1. Tarde, L’Opinion et la foule, 1 vol. in-8 (Alcan). — Sighele, La Foule criminelle, 1 vol. in-8 (Alcan). — G. Le Bon, Psychologie des foules, 1 vol. in-18 (Alcan).