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Une église était là, que je ne pouvais voir,
— Chapelle de couvent ou petite paroisse, —
Et j’écoutais, le cœur étreint par une angoisse,
Cet appel que le peuple aujourd’hui n’entend plus.
C’est dans les champs qu’il faut écouter l’Angelus,
Alors que chaque note argentine s’élance,
Et se répand dans un grand ciel plein de silence !
C’est par un calme soir de la belle saison,
Quand le bon vieux clocher, debout sur l’horizon,
Semble de ses sons clairs bénir les toits de chaume ;
Quand la nature a l’air de prier, quand l’arôme
Des foins coupés s’exhale, exquis, parmi l’air pur,
Et quand on s’imagine, en regardant l’azur
Assombri, mais que pas un nuage ne voile,
Que chaque tintement fait éclore une étoile.

Mais qu’elle est triste, hélas ! la cloche du faubourg !
A son doux et pieux appel le peuple est sourd.
Pour ces infortunés tendrement elle prie
Le Dieu fait homme et né de la Vierge Marie.
Mais l’image a pâli, dans leur cerveau brumeux,
De ce Christ qui pourtant fut ouvrier comme eux.
Ils ont perdu la bonne et sublime espérance
Qui leur rendait jadis moins dure la souffrance.
L’impiété du siècle en eux ressuscita
La fureur de la plèbe autour du Golgotha.
Dans tous ces cœurs aigris, la révolte macère
Contre ce Dieu qui veut qu’on aime sa misère ;
Et, l’accusant de la cruauté de leur sort,
Ils le repoussent même à l’heure de la mort.
Aussi, dans le tumulte où gronde leur blasphème,
Tâchant de leur parler de ce Dieu qui les aime,
Et qui pourtant sans cesse est par eux outragé,
Comme cet Angélus tinte, découragé !

***


J’allais ainsi, perdu dans le flot populaire,
Sentant en moi gronder une sourde colère