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les navires sortent la plupart sur lest. De nombreuses huîtrières sont installées sur les hauts-fonds qui émergent en basse mer entre l’île de Tatihou et la côte. La pêche aux huîtres y occupe une cinquantaine de sloops anglais et une vingtaine de français. La poche côtière enfin n’y compte pas moins de 200 bateaux.

La Hougue, où Colbert eut un moment l’idée de créer le grand arsenal de la Manche avant que Vauban n’eût mis en lumière la supériorité stratégique de Cherbourg, est le dernier port de notre littoral creusé dans la région des schistes et des granits. Dès qu’on l’a dépassé, la côte change brusquement d’aspect et de caractère. Aux roches dures, noires et rouges, veinées de quartz, découpées en pylônes fantastiques et dont les formes étranges et tourmentées semblent avoir conservé quelque chose de leur origine violente, succèdent de longues assises d’une consistance plus tendre, d’interminables murailles de falaises crayeuses, grises ou blanches, de couleur un peu terne, régulièrement étagées et dont la masse a été lentement déposée par les eaux, couronnées de terrasses horizontales aux plateaux doucement inclinés. La lande rase a disparu et est remplacée peu à peu par de magnifiques terres arables, des pâturages et des vergers. On a quitté la région des ports de pêche et de guerre ; on entre dans celle des ports de commerce, des stations de plaisir, des grandes exploitations agricoles ou industrielles. La Bretagne est finie ; c’est la Normandie qui commence. Le pays, jusque-là noble, sévère, quelquefois dur et pauvre, et toujours un peu désert, devient de plus en plus gras, fécond, joyeux, peuplé, et surtout très pratique. Si le Cotentin qui disparaît peut être considéré géologiquement, ethnographiquement et même moralement comme une annexe, une sorte de prolongement de la vieille Armorique, le Bessin et le pays d’Auge qui lui font suite sont bien l’avant-corps de la terre normande, la plus riche peut-être de notre sol français.

CHARLES  LENTHERIC.