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l’ancien Coriallum de l’Itinéraire d’Antonin[1]. Mais on ne dit pas, et en réalité on ne sait pas très bien si, à cette époque, il y avait là une installation sérieuse, un port naturel ou artificiel, régulièrement fréquenté et entretenu, en état de pourvoir d’une manière convenable à la concentration et à l’embarquement d’un corps de troupe ; et on a d’autre part la certitude absolue que la plus grande partie des légions de César ont pris la mer à Portus Itius qui était Boulogne même, ou dans ses environs immédiats. Toutefois, lorsque Vauban fut chargé, à la fin du XVIIe siècle, de choisir l’emplacement et d’arrêter le plan d’un grand établissement militaire et maritime sur la côte de la Manche, qui pût être à la fois un port de refuge, un arsenal, un centre d’approvisionnemens pour nos dettes, et une place de guerre outillée pour l’attaque et la défense, il jeta les yeux sur la vieille ville de Cherbourg, et, dans le fortin du VIIIe ou du IXe siècle qui existait encore de son temps et qui était, au dire de Froissart, « un des plus forts châteaux du monde, » il trouva quelques soubassemens qui paraissaient avoir une origine romaine. Il est donc fort possible que Cherbourg fut à l’époque de la conquête une sorte de castellum, et on peut très bien admettre que les anciens maîtres du monde s’étaient rendu compte, près de vingt siècles avant nous, de l’importance stratégique que présentait la pointe extrême du Cotentin comme base d’opérations et poste de surveillance sur le détroit de la Manche. La longue série des sièges de Cherbourg, l’acharnement avec lequel cette partie de notre frontière maritime a été disputée et défendue, montre bien qu’ils ne s’étaient pas trompés. Mais c’est aux environs, et non tout à fait à Cherbourg même, que se trouvait très vraisemblablement le lieu mentionné par la Table de Peutinger sous le nom de Coriallum ou Corialo, et c’est peut-être ainsi qu’on a désigné autrefois, à cause du voisinage, le castellum même de Cherbourg. Il est plus probable cependant que, s’il existait par là, à l’origine de notre ère, ou quelques siècles plus tard, un véritable port d’origine celtique, romaine, Scandinave ou normande, ce port devait se trouver dans l’anse de Saint-Martin, qui est une petite échancrure de 400 mètres environ de profondeur, creusée naturellement dans la muraille de granit, tout à fait à l’Est de la presqu’île du Cotentin, assez bien défendue contre les coups de mer par la

  1. Mémoires de l’Académie des Inscriptions, XLI, et E. Desjardins, op. cit.