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négative irrévocable : ils lui accordèrent un peu, se flattant de l’empêcher d’aller à l’extrême ; ils refusèrent l’article 414 et livrèrent l’article 416[1]. Le Sénat, soutenu par les éloquentes démonstrations de Marcel Marthe, résista plusieurs fois à cette faiblesse dangereuse[2]. A la fin, cependant, M. Waldeck-Rousseau réussit à lui faire accepter les arguties fourbues de 1864, réfutées par l’expérience plus encore que par la logique et par le texte même de la loi, et à une faible majorité fut sacrifié l’article 416[3], une des garanties les plus essentielles de la liberté du travail.

De ce jour a commencé la guerre sociale. Sous la direction de meneurs, souvent mauvais ouvriers, imbus de théories subversives, la plupart collectivistes, les syndicats sont devenus une préparation de la révolution sociale et de la grève générale qui doit l’inaugurer. Secondés par les politiciens qui se jouent des souffrances des femmes et des enfans pour obtenir ou conserver un siège de député, ils font peser un véritable despotisme sur la masse ouvrière et l’obligent à les suivre, souvent en gémissant, dans des grèves d’un caractère exclusivement politique.

Marcel Barthe, prévoyant les effets de la suppression de l’article 416, disait : « Si cet article est abrogé, quelle en sera la conséquence ? Il arrivera que les dictatures pourront s’établir ; les dictatures établiront dans chaque groupe une servitude : c’est faire disparaître la liberté de l’ouvrier laborieux, honnête, de l’ouvrier qui veut remplir ses devoirs et donner du pain à ses enfans. Nul ne pourra rester indépendant de la grève : il faudra que les malheureux ouvriers subissent le joug de la commission exécutive. » M. Waldeck-Rousseau lui-même a contresigné le rapport de M. Millerand, qui, sans en avouer la cause, reconnaît la vérité de ces prévisions : « Parfois on voit la grève d’une minorité entraîner le chômage de tout le personnel (d’une usine), malgré tous les efforts des pouvoirs pour protéger les non-grévistes et faciliter l’exercice de leur droit au travail[4]. »

Cette oppression visible des ouvriers par les syndicats est devenue un danger public dont le gouvernement a dû s’émouvoir. Malheureusement le remède qu’il a imaginé sera pire que

  1. 18 mai 1881.
  2. Le 18 juillet 1882, par 192 voix contre 37. Le 2 août, par 185 voix contre 61.
  3. 29 janvier 1884. 151 voix contre 121.
  4. Projet de loi sur les règlemens amiables des différends relatifs aux conditions du travail, présenté par MM. Waldeck-Rousseau et Millerand, 15 novembre 1900.