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économique ; l’organisation des Trade-Unions en fournit la preuve éclatante. Il n’y aura même de société libre qu’avec des hommes capables de self government. M. Chiappelli a fait voir que le succès du socialisme est lié à la dose de moralité qu’il peut contenir[1]. Mais c’est surtout en Angleterre et aux États-Unis que le socialisme, plus pratique à tous les points de vue, s’appuie sur les idées morales. Là est son honneur et aussi sa force. M. Belfort Bax a toujours soutenu la nécessité de la morale ; M. Sidney Ball et la plupart des Fabiens ne séparent point la « socialisation » de la « moralisation. »

Divers problèmes se posent au sujet de la morale socialiste. En premier lieu, le socialisme a-t-il le droit de soutenir, comme il le fait volontiers, que lui seul pour fonder une morale ? En second lieu, le fondement humanitaire et exclusivement social, qu’il emprunt » ; à l’école de l’évolution, est-il suffisant ? Enfin, l’idée de la solidarité sociale est-elle égale et « adéquate » à l’idée morale ?


I

A en croire certains socialistes, la morale serait immanente à leur système et à leur système seul. M. Colajanni, par exemple, veut-il établir la légitimité du collectivisme, il s’efforce de montrer que l’humanité aspire à un état supérieur de justice et de bonheur pour tous, qui est l’idéal même du socialisme[2]. — À ce compte, tous les moralistes seraient des socialistes. Certes, nous devons vouloir et préparer une plus grande justice et une plus grande félicité pour le genre humain, puisque c’est en cela même que la morale consiste ; mais le collectivisme ne peut confisquer l’éthique à son profit sans faire une pétition de principe. Supposer que la propriété collective est le seul moyen possible de bonheur et de moralité pour le genre humain, c’est prendre pour accordé ce qui est en question.

Écoutons à son tour M. Jaurès. Le socialisme, — dit-il dans son introduction à la Morale sociale de Benoît Malon, — n’a pas besoin « d’allumer sa lanterne pour aller à la recherche d’une morale : » il est déjà, par lui-même et en lui-même, une morale. Il l’est « théoriquement et pratiquement. »

  1. Socialismo e pensiero moderno.
  2. Colajanni, le Socialisme. Paris, Giard, 1900.