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Peu à peu la nef s’était remplie des gens du quartier. On avait un moment hésité à faire entrer le cheval dans l’église, en raison de sa nervosité, mais ma voisine avait insisté vivement, déclarant que coûte que coûte il fallait que la bénédiction fût donnée. Le champion de la contracta fut donc introduit tout frémissant et conduit devant la grille de l’autel. Un prêtre parut presque aussitôt de l’autre côté, revêtu du surplis et de l’étole ; séance tenante, il se mit à lire les prières d’usage devant l’assistance debout, et attentive. Tout à coup, un grand cri s’élève : Che fortuna ! che fortuna ! Le prêtre s’arrête interdit. C’est le cheval qui, au mépris des bienséances, a souillé le sol de l’église. L’officiant comprend, sourit ; puis, le silence une fois rétabli, il reprend sa lecture et asperge le cheval d’eau bénite. Tout le monde sort. Je dis adieu à mes voisines en leur souhaitant bonne chance. « Speriamo, » me répondent-elles en me serrant la main.

Pendant ce temps, la comparsa, c’est-à-dire la représentation du quartier en costume de gala, s’est formée avec ses élémens pittoresques. Nous la voyons qui s’ébranle. En tête, un tambour battant sa caisse, deux alfieri agitant des drapeaux, le capitaine casqué et cuirassé, entouré des pages, un porte-bannière tenant en main l’étendard de la contracta, enfin le jockey sur un cheval d’emprunt, car le champion qui devrait fermer la marche sous la garde du barbaresco, a été directement dirigé sur le palais public. Si les costumes sont simples, l’ensemble a belle apparence. Mais quelle figure de bandit, le jockey ! Sa mine maussade, renfrognée, louche, ne me dit rien qui vaille. Ou je me trompe fort, ou ce garçon-là médite un mauvais coup.

La comparsa défile par les rues : chaque fois qu’elle rencontre la maison d’un des patrons de la contracta, elle s’arrête. Les alfieri font alors exécuter à leurs drapeaux la sbandierata la plus fantaisiste, les plus difficiles évolutions, avec une dextérité sans égale. Les routant prestement, ils les lancent à une grande hauteur, le manche en haut. Arrivé au point extrême, le drapeau pivote de lui-même, se retourne et redescend comme une flèche. L’alfiere le saisit au vol et la comparsa repart. Ce jeu des drapeaux qui exige un apprentissage assez long, constitue le clou du spectacle.

Après avoir suivi un moment le Montone, nous le dépassons et nous rendons à la place du Dôme où les contracta viennent une à une rendre hommage à l’archevêque et au préfet dont les