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insulté en public, de m’offrir sa main dans les couloirs ; qu’il m’accorde une réparation aussi publique que son insulte, alors je lui tendrai la main. » Comment pouvais-je, d’ailleurs, accepter la main qui allait jeter dans l’urne une boule notre signifiant que j’étais un traître et un fourbe ? Que pouvait-il désormais y avoir de commun entre moi et les hommes qui venaient de briser nos liens ? Quand on se respecte, de telles ruptures sont irrévocables.

La loi fut votée par 222 voix contre 36. Dans ces 36, se trouvaient, avec quelques voix de droite, toute l’opposition, à l’exception de l’honnête Lanjuinais et de Darimon. Picard avait voté avec les autres ; Berryer s’était abstenu, malgré sa récente plaidoirie en faveur de la coalition des typographes ; Thiers s’était abstenu aussi, malgré l’antipathie que lui inspirait la liberté nouvelle.

Le lendemain du vote, Emile de Girardin fit à Jules Favre, dans la Presse, la réponse que je n’avais pas voulu lui faire : « Que reprochez-vous à M. Emile Ollivier ? D’avoir abandonné ses anciennes opinions ! En quoi ? — En acceptant d’être le rapporteur d’une commission saisie d’un projet de loi qui a effacé du Code pénal un délit qui était une atteinte à la première de toutes les libertés, si on la mesure au nombre de ceux dont elle est la garantie, à la liberté du travail ! Non ; celui qui a changé, ce n’est pas M. Emile Ollivier : c’est vous, monsieur ! Le jour où MM. Carnot et Garnier-Pagès, anciens membres du Gouvernement provisoire, ont été élus, le vent de 1848 a tout à coup soufflé sur vous et vous a fait tourner. Vous tournez facilement… mars, juin et novembre 1848 sont là pour l’attester… Celui qui a continué de voir juste, ce n’est pas vous : c’est M. Emile Ollivier… Celui qui a déserté le poste et trahi la liberté, c’est vous, monsieur ! Aussi M. Emile Ollivier a-t-il dignement fait de retirer froidement sa main quand vous êtes venu lui tendre la vôtre, après avoir essayé de le vouer au mépris public, ne pouvant le livrer au ministère public, ainsi que vous aviez tenté de faire de M. Louis Blanc. »

Jules Ferry m’écrivit le même jour : « Cher ami, je ne puis aujourd’hui aller vous dire combien je suis satisfait de votre discussion juridique d’hier, si souple, si soutenue, si abondante et si précise. Les discours développés, ces discours d’affaires si bien portés par l’homme d’Etat vont à merveille à l’ampleur de