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engendrent. Ce sont par-dessus tout des œuvres d’amour. La madone apparaît sur les fonds d’or, dans les cadres d’or, sous l’auréole d’or, parée de toutes les grâces, d’une humilité angélique, avec, sur la bouche, un ineffable sourire et dans les yeux des pensées extraterrestres.

On sent que tous ces artistes ont respiré la même atmosphère : on dirait qu’ils avaient devant les yeux le même idéal de beauté féminine : un corps frêle et élancé, l’ovale allongé du visage, la nez long et flexible, des yeux en amande sous l’arcade mince et pure des sourcils, une carnation pâle et des doigts effilés. À Dieu ne plaise que je me hasarde à discuter la question de savoir si le type de la madone siennoise sa rattache et par quels liens elle se rattache au canon que les byzantins ont légué à l’Italie, ni si quelque filiation légitime unit les vierges de Duccio di Buoninsegna et de Sano di Pietro à celles de Cimabue. Je ne livre ici que des impressions, celle de l’étrange ressemblance que le hasard des rencontres m’a conduit à constater entre ces panneaux du moyen âge et les modèles vivans d’aujourd’hui. Hier, à la tombée du jour, je me suis trouvé, près de la Lizza, en face d’une toute jeune fille qui m’a rappelé, avec une étonnante précision, la Vierge des Neiges, cette création vraiment divine de Matteo di Giovanni, cachée aux regards profanes dans une petite église dont un perruquier garde la clef. Les simples vêtemens de la jeune fille ne pouvaient cacher sa noblesse native. La souplesse du corps se révélait par la légèreté de la démarche. L’ovale du visage défiait la critique, comme l’arc châtain des sourcils et la ligne du nez. Se sentant regardée, elle baissait les yeux à demi ; mais, sous la paupière mi-close, le regard filtrait avec une douceur singulière. Les mains pendaient longues, effilées, d’une blancheur toute virginale. Le chapeau de paille, aux bords tombans, encadrait le visage comme un voile de madone, ne laissant voir que le bas du front poli et quelques mèches de cheveux d’une nuance plus claire que les sourcils. Qu’il me soit permis de croire que, dans la contadina de la Lizza, revivent les attraits captivans de la Siennoise qui a autrefois servi de modèle à Matteo !

Dans la Civitas Virginis, ce n’est pas seulement le cadre du moyen âge qui subsista, audacieux défi au siècle de la vapeur ; les traditions d’autan y conservent une partie de leur vertu, comme certains parfums délicats au fond de boîtes hors d’usage.