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d’Aladin, aux yeux hypnotisés des humbles. En face, le couronnement du pape Pie II montre les chaudes couleurs et la patine des miniatures du moyen âge. — Cependant l’archevêque officie en grande pompe, entouré de son chapitre, devant, les paysans prosternés et éblouis, tandis qu’une musique brillante, faite pour retentir dans un temple décoré par l’Algarde ou le Borromini, enchante la partie aristocratique de l’assistance. Après un morceau à effet, un murmure flatteur a parcouru les rangs : peu s’en est fallu qu’on applaudit. Ce n’est pas que la piété ait déserté ; la Cité de la Vierge ; mais le peuple de Sienne n’est pas là : il a ses églises à lui et, à la veille d’un Palio, il reste dans sa contrada, auprès de l’autel familier. Et parmi les élégantes venues aujourd’hui pour entendre la maîtrise du Dôme, plus d’une ira demain matin, au lever du jour, s’agenouiller dans quelque chapelle solitaire où la prière n’a pour accompagnement que les paroles rituelles de l’officiant.

Dans l’après-midi, c’est encore le Campo qui est le centre d’attraction des Siennois, d’abord pour le tirage de la tombola. Il y a plaisir à suivre les gens du peuple ou de la campagne dont la place est remplie, piquant avec des épingles ceux des numéros sortans qui figurent sur leurs cartons. À mesure que les cartons se remplissent, l’intérêt augmente. On rit, mais sous la gaîté, on devine une anxiété sourde, un grain de fièvre. Tout à coup, près de moi, ce sont des exclamations joyeuses ; une enfant de quinze ans vient de gagner le quine. Elle est là interdite, au milieu de parens et d’amis qui examinent le carton ; ses joues sont toutes roses de surprise et de joie ; puis subitement, comme mue par un ressort caché, elle s’élance, en agitant son billet, vers la tribune officielle. Toute la nature prime-sautière du petit peuple en Italie se retrouve dans cette simple scène : les gestes correspondent aux émotions, les émotions sont vives, et aucune fausse honte n’en réprime l’explosion.

Un coup de canon retentit. Il est six heures, on va courir la prova generale, pour laquelle le municipe offre un prix, ce qui assure une arrivée disputée. Pour voir la course, je demeure dans la place. J’aime ce poste d’observation. On ne perd aucun des principaux incidens de la lutte et on reste en communion avec le vrai public, celui qui se passionne et prend parti. J’ai toujours admiré l’ordre avec lequel on évacue la piste. Il semble que les agens ne se montrent que pour la forme. Le peuple fait