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cercle autour d’un saltimbanque, à l’ombre de la grande tour. Sous les arcades élancées de la Loggia de’ nobili, on lit la Gazetta et les journaux venus de Home. Contre les bornes de la Costarella, des oisifs sont appuyés, regardant passer les jolies filles. Et le vent agite mollement les drapeaux des contrade flottant au balcon des prieurs et des capitaines, ou bien marquant les limites de chaque quartier. À ces frontières historiques, les étendards rivaux sont plantés fièrement avec des airs de défi. Leurs ondoiemens dévoilent et cachent alternativement les écussons héraldiques, les armes parlantes : la Louve, la Chouette, l’Escargot, la Tour, la Forêt, l’Onde, le Hérisson, la Coquille, le Mouton (Valmontone), la Licorne, la Chenille, la Girafe, l’Oie, la Tortue, la Panthère, l’Aigle, le Dragon. Des drapeaux partout, jusque dans les ruelles en précipice, jusque dans les carrefours biscornus, drapeaux multicolores, aux nuances vives et tranchées comme un habit d’arlequin, comme l’aile des oiseaux des tropiques. Et sur la ville qui s’éveille, les cloches de toutes les églises répandent de joyeux carillons.

À n’en pouvoir douter, la Belle au Bois Dormant est enfin sortie de son long évanouissement.

Ce matin, l’intérêt n’est pas au Campo, il est dans les rues, dans les églises, au Dôme. Le Dôme, un jour d’Assomption ! Au moment où je débouchai sur la place, la blanche cathédrale étincelait au soleil comme un bloc géant de carrare veiné de noir. Par les trois portes ouvertes, la lumière s’engouffrait. Dès les premiers pas, j’éprouvai un éblouissement, comme si la nef m’apparaissait pour la première fois. C’est qu’elle avait revêtu ses atours de gala, la vieille mais toujours jeune église. Accrochés aux piliers massifs, les drapeaux des contrade éclataient d’abord dans une explosion de fanfares, au contact du jour extérieur, atténuant peu à peu la sonorité de leurs couleurs, à mesure que l’ombre s’amassait sous le berceau renversé. Mes pieds foulaient respectueusement cette trouvaille d’art et de décoration qu’on appelle les graffiti, cachés d’ordinaire aux regards du commun des touristes, empruntant à ce mystère je ne sais quel attrait plus subtil et plus pénétrant. Dans le chœur, l’autel d’argent resplendit discrètement. Inconsciens de leur irrévérence, des paysans sont assis entre les colonnettes qui supportent la chaire de Nicolo Pisano, pareille à un bibelot de vieil ivoire. La chapelle Chigi, derrière sa grille entr’ouverte, brille comme le trésor