Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/360

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

propre au moyen âge. Chacune d’entre elles forme un corps distinct, isolé, ayant ses chefs, ses couleurs, son drapeau, ses armes, son église, ses traditions. À ses membres, elle inspire un amour exclusif, aveugle, quasi religieux. Ce patriotisme de clocher engendre à son tour des sentimens de jalousie et d’aversion réciproques qui percent de mille manières. Mais, de ce que toutes les contrade sont rivales, il ne s’ensuit pas qu’elles soient toutes ennemies les unes des autres. Avec le temps, des rapprochemens bizarres se sont produits. Sympathies et antipathies ont souvent leurs racines dans un passé lointain. On chercherait peut-être en vain l’origine authentique de l’hostilité qui règne entre l’Oca et la Torre, entre la Selva et la Pantera, par exemple. Au temps jadis, ces rivalités et ces haines donnaient naissance à de violentes querelles, à des embûches, des guet-apens, des rixes sanglantes, sources de féroces représailles. Peu à peu, les mœurs se sont adoucies, sans éteindre les passions. L’état de guerre subsiste, seules les armes ont cessé d’être homicides. Encore aujourd’hui, entre gens de contrade ennemies, il est presque impossible qu’il y ait réunion amicale, à plus forte raison mariage. Le jour de la course, le fantino[1] paraît sur la place armé d’un fort nerf de bœuf, — le nerbo, — la tête protégée par un casque de fer. Il a le droit de frapper le cheval de ses adversaires et ses adversaires eux-mêmes. C’est dans ces compétitions ardentes que réside l’intérêt singulier du Palio. Réconciliées, partant indifférentes, les contrado ne constitueraient plus que des corps inanimés. La lutte à mort se convertirait eu un spectacle purement décoratif. Le Palio de Sienne aurait vécu.

Mardi 15 août. — Je me réveille au son des cloches. Les cloches de toutes les églises tintent éperdument dans une violente émulation d’allégresse. Au dehors, l’air est pur et deux sous les rayons du soleil matinal. Les créneaux des palais gothiques se parent de teintes éclatantes, pendant que les rues profondes demeurent encore dans la pénombre. Déjà les contadine apparaissent par groupes, accourues pour les fêtes, des petites villes et des campagnes voisines, égayant la cité de leurs chapeaux de paille fleuris aux ailes flexibles et mouvantes, dangereuses rivales pour les Siennoises. Au Campo, encore à peu près désert, on fait

  1. Le jockey.