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LE PALIO DE SIENNE[1]

Jeudi 10 août. — Comme une créole paresseuse, Sienne est endormie. Tandis que le soleil d’août enveloppe la rouge cité de ses effluves caressans, aucun murmure ne s’échappe des palais crénelés. Par les rues étroites aux courbes capricieuses, sur les places blanches de lumière, à peine de loin en loin un passant furtif, surpris de cheminer à l’heure de la sieste. Sienne est endormie. Aussi bien, son sommeil dure-t-il plus de trois siècles, depuis le jour néfaste où la ville dut ouvrir ses portes aux soldats de Charles-Quint. Comme la Belle au Bois dormant, elle attend l’heure fatale pour sortir de sa léthargie. « On eût dit un ange, tant elle était belle, car son évanouissement n’avait point ôté les couleurs vives de son teint ; ses joues étaient incarnates ; et ses lèvres comme du corail ; elle avait seulement les yeux fermés, mais on l’entendait respirer sourdement, ce qui faisait voir qu’elle n’était pas morte. » À la contempler ainsi, on devine que des songes dorés passent parfois sous ses paupières closes. Ce ne sont, hélas ! que des rêves. La cité siennoise porte au cœur une blessure inguérissable, le deuil de ses gloires évanouies. Ceux qui l’aiment ne la revoient jamais sans un sentiment d’attendrissante mélancolie.

Samedi 12 août. — La ville engourdie se réveillerait-elle ? Dans la place du Campo que Dante a connue, des charrettes se rassemblent. On en retire des barrières de bois. Une escouade d’ouvriers les emportent et les fixent solidement aux bornes de granit qui divisent la place en deux zones concentriques. Puis

  1. Palio, du latin Pallium, signifie la bannière qu’on donnait comme prix d’une course. Par extension, il signifie la course elle-même.